Vers une nouvelle histoire de la Chine au 1er siècle ?
Yen Martin, Nouvelle histoire de l’introduction du christianisme en Chine, éditions You Feng, Paris, 2021, 395 pages, 868 notes de bas de page, 38 €
Notes de lecture :
__ Le père Martin Ji Liang Yen (1919-2009), religieux membre de la communauté des augustins de l’Assomption, consacra une bonne partie de sa vie aux recherches sur l’évangélisation de son pays d’origine, la Chine. Une tradition orale reçue dans sa famille affirmait que la foi chrétienne des fidèles de l’empire du milieu remontait fort loin ; il voulut éprouver ces dires, à la fois pour l’intérêt historique et aussi missionnaire, de cette question.
__ Cet ouvrage est une mine, et pas seulement à cause des 868 notes dont une couvre presque deux pages. C’est d’abord le fruit des longues et patientes recherches du père Yen, malgré bien des aléas, comme son départ en France en 1949 à la suite de l’installation du régime communiste. Son fonds d’archives personnelles, ainsi que ses notes et ses sources chinoises, ont été relus, traduits à nouveau et remis en ordre. Après la plupart des chapitres, une vaste annexe a été ajoutée pour montrer l’état de la question actuellement à partir de nouvelles découvertes archéologiques en Chine même ou de textes mis à jour récemment. Signalons au passage que le père Yen ne connaissait pas l’existence des bas-reliefs de la falaise de Kong-Wang-Shan, qu’il a découverte en France quelques années avant sa mort.
__ De ces études, il se dégage assez clairement trois périodes : dans une première partie, intitulée « Commencements » (p.9), le père Yen s’est intéressé à l’arrivée des Juifs en Chine ; une importante colonie exista jusqu’au XIXe siècle à Kaïfeng, dans le centre du pays, où l’un des Chinois d’origine hébraïque alla même rencontrer Matteo Ricci à la fin du XVIe siècle. Ces Hébreux arrivèrent en Chine en suivant la route de la soie, pour faire du commerce ; ils semblent avoir été présents à l’époque du Christ, à Kaïfeng et au port de Lianyungang.
__ Notre auteur se pencha également sur les textes racontant le songe de l’empereur Ming de la dynastie Han, autour de 65 après Jésus-Christ : au cours de ce rêve, un personnage barbu et brillant apparut au souverain, qui envoya une ambassade à l’ouest pour rapporter des missionnaires de cette nouvelle religion. L’écrasante majorité des études considère que ces envoyés étaient des bouddhistes, mais le père Yen avait des raisons de croire qu’ils appartenaient peut-être à une autre religion. Il fixe ainsi l’arrivée des premiers missionnaires chrétiens au premier siècle de notre ère, à la suite des échanges commerciaux de la route de la soie, et de la présence possible de Juifs dans l’empire des Han.
__ Un certain nombre de sources textuelles, présentes chez les Pères de l’Église, mais aussi dans des documents des Eglises arménienne, syriaque et malabare en Inde, attestent cette tradition de voyages de saint Thomas d’Inde en Chine.
__ Après une violente persécution autour de 70 après Jésus-Christ à Xüzhou, le fief du prince Ying, demi-frère de l’empereur Ming qui avait fait venir les propagateurs de la nouvelle foi, débuta une période d’enfouissement et de vie clandestine des croyants, au point de perdre quasiment toute trace d’eux ; simultanément, on assiste à un métissage et à un syncrétisme, à travers le soulèvement des turbans jaunes et leur visée millénariste, et le groupe des cinq boisseaux de riz, dont la prédication semble reprendre certains éléments à ce premier christianisme ; d’où le titre choisi pour la deuxième partie du livre (p.134 – titre que la table des matières oublie d’indiquer) : « Enfouissement et syncrétisme ». La question qui se pose est de savoir à quel point ces groupes étaient sous une influence chrétienne, consciente ou non.
__ Le christianisme connut une résurgence au temps des empereurs Suì (fin du VIe – début du VIIe siècle), puis avec les Tang et la venue d’une délégation importante de l’Église de l’Orient en 635 ; période qui est maintenant bien connue et qui n’est plus contestée ; cette troisième partie, marquée par une série de flux et de reflux de la foi chrétienne en Chine, a pour titre : « Renaissances et disparitions » (p.240).
__ Par ailleurs, dans une quatrième partie intitulée « Influence » (p.263), notre auteur s’est aussi penché sur certaines dévotions du bouddhisme et du taoïsme, qui paraissent s’enraciner dans la prédication chrétienne primitive. Dès le XVIIIe siècle et jusqu’à leur expulsion par Mao Zedong dans les années cinquante, quelques missionnaires en Chine s’étaient interrogés sur certaines connivences entre le bouddhisme et la foi chrétienne, notamment dans le culte de Guan Yin, boddhistava féminin de la compassion.
Guan Yin déesse de la miséricorde – la statue de droite est du XVIIe siècle
XIe siècle (Musée St Louis) avec non seulement un pied qui est visible, ce qui est contraire à l’éthique chinoise, mais en position semi-accroupie comme la Dame de la falaise de Kong Wang Shan, identifiée selon toute vraisemblance comme la Vierge Marie (dans la position de l’accouchement en Orient ancien)
__ Par ailleurs, un théologien et historien protestant chinois, le professeur Wang Wei Fan, mena également des recherches, uniquement archéologiques, dans des tombes de la région de Xüzhou : c’est lui qui fit connaître les premières photographies du miroir analysé lors du colloque de 2012 des associations Aide à l’Eglise en détresse /EEChO à Paris, miroir daté d’environ 200 après Jésus-Christ et qui comporte un texte explicitement chrétien. Les principales contributions de cet éminent professeur, traducteur de la Bible en chinois, sont exposées et discutées dans les pages 103 à 112, dans la grosse annexe 1.
Au final, il semble bien qu’il y ait eu deux écueils pour la prédication de l’Évangile en Chine :
- le syncrétisme, par mélange de la prédication du Christ avec les traditions populaires et les cultes païens, qui finissent par affadir la foi au point de la faire disparaître, comme ce fut le cas après la dynastie Ming (1368-1644), et comme ce fut le cas d’autres religions florissantes à une certaine époque en Chine comme le manichéisme ;
- les persécutions violentes qui détruisent presque toute trace de l’Église, en six vagues (la première évangélisation, sous la dynastie Han, avec l’empereur Ming ; en 446 après Jésus-Christ, lors d’importantes persécutions contre le bouddhisme ; sous les Tang, après une venue des missionnaires de l’Eglise de l’Orient en 635, suivie du désastre de la guerre civile et des persécutions contre le bouddhisme et les religions suspectées d’être étrangères vers 850 ; la venue des franciscains et de quelques dominicains occidentaux aux treizième et quatorzième siècles, et la persécution nationaliste des Ming ; l’arrivée des missionnaires jésuites aux seizième et dix-septième siècles, et les persécutions de la dynastie Qing des Mandchous, suivies de la révolte des boxers ; les persécutions du régime communiste).
__ Au fur et à mesure des périodes d’ouverture ou de fermeture du pays, on a donc le sentiment que tout est à reconstruire à chaque fois.
__ La connaissance qu’avait le père Yen de la langue chinoise ancienne et de l’histoire lui permit d’approfondir certains textes et certaines données historique, si bien que ses travaux apportent une lumière inédite sur l’évangélisation de l’empire du milieu et sur la survie dans la culture et dans certains courants religieux de ces premiers contacts entre le message du Christ et le monde Chinois. Cet ouvrage publie pour la première fois l’intégralité de ses recherches, asssorties d’une actualisation rendue possible par des découvertes archéologiques récentes.
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Pour info, voici la capture d’écran d’un article (supprimé depuis) du Quotidien du peuple, version française en ligne ; elle a trait à une tombe chrétienne du VIIIe siècle mais en dit long tout de même :
Voir aussi https://www.ucanews.com/news/historic-christian-site-found-in-china/70104 concernant une autre tombe chrétienne, dans le Henan.
Ce serait formidable (et normal en même temps) que KTO et des radios catholiques comme RND fassent connaître ce livre, ces recherches ainsi qu’aux travaux de Pierre Perrier sur l’apôtre Thomas en Chine ! Ce serait aussi formidable que ces médias disent chaque semaine ce que subissent les pauvres chrétiens chinois persécutés par l’abominable dictature communiste ! Ces médias catholiques et chrétiens certes, mais aussi tous les médias car ces sujets sont très importants et le public est très mal informé. Il faut informer des découvertes scientifiques, archéologiques, exégétiques en permanence, c’est un sujet crucial. Les médias en particulier chrétiens devraient parler d’EEChO et des découvertes majeures sur le christianisme des origines.
Dans les années 50, de vieux pères jésuites chassés de Chine nous apportaient un écho de ce lointain et mystérieux pays. Des boules d’ivoire enchâssées les unes dans les autres reflétaient à nos yeux émerveillés la complexité extrême de ce lointain pays. Notre collège Saint Joseph de Lille sortait alors de ses habitudes quasi militaire pour découvrir une histoire inconnue, qui nous semblait incroyable: des chrétiens jusqu’en Chine ? Et moi qui pensait dans ma tête de 14 ans que le monde catholique se réduisait au monde greco-romain. Merci à Eecho de me faire découvrir que des chinois furent peut-être évangélisés avant le monde de Cht’i.