sourate 5 al-Mâ’idah : une contradiction formelle
« Naṣaréens » dans le Coran : chrétiens ou pas chrétiens ?
Remise à jour
_ Dans le Coran, le terme de « naṣârâ » apparaît dix fois après le terme de yahûd (juifs rabbiniques) ; logiquement, à une telle place, il semble ne pouvoir signifier que « chrétiens » – ce qui répond à l’association que le discours islamique fait habituellement entre ceux qui qui ont respectivement reçu une révélation mais qui l’auraient déformée, à savoir les juifs et les chrétiens précisément.
__Cependant, dans les autres occurrences de ce terme où il n’y a pas de proximité avec le mot yahûd, la signification de « naṣârâ » apparaît autre – et ce n’est manifestement pas celle de « chrétiens ». D’ailleurs, de nombreux traducteurs rendent alors le terme par nazaréens en français (en transcrivant le ṣ en z) au lieu de « chrétiens ». Le même terme aurait donc deux significations ?
_ Car il s’agit bien de deux sens différents : les chrétiens ne se sont jamais appelés nazaréens – sauf durant les dix premières années – car ce sont des séparés des chrétiens apostoliques, très opposés à la tradition des apôtres, qui se sont approprié ce nom.
__Cette divergence de sens est-elle l’explication de la contradiction qui apparaît, dans la sourate 5, entre un verset où les naṣârâ apparaissent comme alliés-amis des vrais croyants (présumés être les musulmans – verset 82), et un autre verset où ils sont des ennemis (verset 51) ? Cette explication avait échappé longtemps aux chercheurs jusqu’à ce qu’Antoine Moussali en trouve la clef.
__Les chercheurs islamologues se servent désormais de cette découverte bien étayée, mais cela dérange beaucoup les musulmans (et leurs sponsors) : ils veulent bien que « Allah » se contredise d’une sourate à l’autre – de nombreux livres de commentaires du Coran ont été écrit pour « expliquer » cela –, mais dans une même sourate, cela ne va vraiment pas.
_ Or, la seule explication de cette contradiction est la manipulation du texte, auquel « et les naṣârâ » a été ajouté au verset 51 (ce même type d’ajout se voit ailleurs également), ce qui malmène le dogme islamique de l’intangibilité du Coran, dicté par Allah et non pas bricolé par des humains.
_ Rien qu’à l’audition, par rapport à l’élan de la phrase, l’interpolation est décelable à l’audition (c’est-à-dire selon l’oralité). Quant au sens, il l’indique davantage encore :
“Ô les croyants ! Ne prenez pas pour « amis » (waly, allié) les juifs et les naṣârâ : ils sont « amis » les uns des autres” (5:51)
Quand les juifs rabbiniques et les chrétiens ont-ils été alliés ? Cette absurdité est évidemment défendue par les commentaires coraniques, mais la suite se corse quand on lit le verset 51 de la même sourate :
“Tu trouveras que les « amis » les plus proches des croyants sont ceux qui disent : Nous sommes naṣârâ” (5:82).
Pour échapper à la contradiction, on traduit « naṣârâ » une fois par « Chrétiens » au verset 51 et l’autre fois par « Nazaréens » au verset 82. En 1998, Antoine Moussali a définitivement indiqué la solution de cette contradiction [1]. Quelle est-elle ?
Au verset 5:51, le terme de « naṣârâ » fait penser aux « chrétiens » simplement parce qu’il est placé après celui de yahûd (juifs) et qu’il est mis en parallèle avec lui – et évidemment parce que les musulmans ont été formatés pour appeler ainsi les chrétiens. Mais est-ce le sens réel du mot à l’époque de la compilation du texte coranique ? Manifestement pas selon le verset 82 (et d’autres également).
Antoine Moussali montra que la psalmodie du passage laisse apparaître une rupture de rythme et un déséquilibre qui disparaissent si l’on omet “et les naṣârâ ” (wa n-naṣârâ). Le texte rééquilibré est le suivant :
“Ô les croyants ! Ne prenez pas pour amis les juifs : ils sont amis les uns des autres” (5:51).
Tout redevient clair, sensé et cohérent. Et la contradiction avec le verset 82 disparaît. Cela fait donc trois raisons convergentes indiquant qu’il s’agit d’un ajout. Au point de vue de la science exégétique, cette conclusion ne laisse pas de place au doute.
Or, un tel ajout impliquant le terme de naṣârâ n’est pas unique.
Sur les 14 occurrences du mot (dont une au singulier, naṣrâni, en 3:67), 4 sont originelles et 10 ont été rajoutées. En chacun de ces 10 cas, ce terme apparaît après celui de Yahūd (ou yahūdiy au singulier en 3:67) ; il s’agit chaque fois d’ajouts.
Exemples : et /ou [les] nasârâ (perceptibles à l’audition) : sourates 2:111 (ou n.) ; 2,113 (avec la suite : et les n. disent : les juifs ne tiennent sur rien) ; 2:120 (et les n.) ; 2:135 (ou n.) ; 2,140 (ou n.) ; 5,18 (et les n.).
Au verset 2:135, l’introduction de “ou naṣârâ” après “soyez juifs” apparaît spécialement absurde ; elle amène à lire que les “fils d’Abraham” recommandent d’être “juifs ou chrétiens” ! Sans l’ajout, le verset redevient sensé :
“Ils (les fils d’Abraham, cf. 2:133) ont dit : Soyez juifs (hûd, c’est-à-dire “d’ethnie juive”), vous serez sur la bonne voie. Dis : Non, [suivez] la religion (millah) d’Abraham, en ḥanîf-s” (2:135).
La polémique coranique est fine : ce qui sauve n’est pas le fait d’être juif mais de croire comme Abraham.
Ce verset 2:135 doit être mis en relation avec un autre qui lui est proche, 3:67 qui doit être débarrassé lui aussi de son ajout (“et pas un naṣrânî”), ce qui donne alors :
“Abraham ne fut pas un juif mais au contraire il fut un ḥanîf soumis (muslim)” (3:67).
Ces deux versets 2:135 et 3:67 veulent dire qu’Abraham n’était pas juif puisqu’il est lui-même le père des juifs, et que ceux-ci, tout en se prévalant de ce qu’ils sont, n’ont pas été fidèles à la religion de ce père soumis à Dieu (muslim). Une telle idée est présente dans les évangiles (par exemple en Mt 3:9 parall. Lc 3:8) ; mais ici s’ajoute une dose d’ironie car Abraham est donné en modèle du ḥanîf.
Il faut comprendre le cadre de ces polémiques anti-judaïques que l’on trouve un peu partout dans le Coran, un cadre qui est évidemment antérieur au texte coranique. Dans les Talmud-s, le terme ḥanef désigne un hérétique et équivaut à mîn [2]. En présentant Abraham comme un “hérétique soumis”, expliquait Jacqueline Genot (décédée en 2004), ces deux versets coraniques retournent contre le judaïsme rabbinique la condamnation de ceux qu’il considère comme hérétiques – et en particulier de ceux que la tradition patristique connaît sous le nom de nazaréens précisément –: si nous sommes des hérétiques, disent ceux-ci, alors Abraham l’était avant nous : les hérétiques infidèles, c’est vous !
On ne peut pas comprendre des polémiques du Coran sans connaître son soubassement hébraïque et son contexte judéo-araméen si présents dans la pensée des véritables instigateurs de l’islam. Le texte coranique, dûment analysé selon la rigueur exégétique, révèle bien des secrets – et pas seulement des histoires d’interpolations ou autres manipulations subies.
_Il révèle notamment le fait que, s’il parle des chrétiens, ce n’est originellement pas sous l’appellation de naṣârâ.
_Et s’il paraît les désigner aujourd’hui sous cette appellation (que les musulmans utilisent à la place de masîhiyûn qui signifie « chrétiens » en arabe et que les chrétiens arabes utilisent depuis le temps des apôtres), c’est pour une raison impérieuse : faire disparaître le souvenir des vrais naṣâra-« nazaréens » en allant jusqu’à réattribuer à d’autres leur nom [3].
_ Un tel enjeu valait le risque d’introduire une contradiction formelle dans la sourate 5.
Edouard-M. Gallez
interview de Marie-Thérèse Urvoy :
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[1] Interrogations d’un ami des musulmans, in COLL., Vivre avec l’Islam ?, Versailles, 1997, p.235-240.
[2] Pluriel : ḥanefîm ou ḥanupa, cf. Talmud Babli, traités Sanh. 103a ou Sota 41b.
[3] Voir par exemple https://www.scribd.com/fullscreen/243467849?access_key=key-7J0IKgkI79OCn5zz12Cw&allow_share=true&escape=false&view_mode=scroll p. 41.
VOIR AUSSI : ♦ https://www.eecho.fr/islamologie-le-voile-se-dechire ,
♦ www.lemessieetsonprophete.com ,
♦ www.legrandsecretdelislam.com .