Nestorius, Portugais et Église de St Thomas en Inde
Nestorius, les Portugais et l’Église de Saint Thomas en Inde – de la déchirure Orient-Occident à la redécouverte –
[Rappel de cet article de 2016 suite aux colloques de Kochi et Rome et en prévision d’un projet de voyage]
L’Europe a été coupée de l’Église indienne de Saint Thomas, à la suite des conciles d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451). Cependant, au XXe siècle, les Églises d’Occident et d’Orient se sont reconsidérées comme Églises-soeurs au point de reconnaître réciproquement la valeur de leurs sacrements, que ces Églises soient dites « orthodoxes » ou « préchalcédoniennes », c’est-à-dire pour peu qu’elles soient apostoliques – donc remontant par transmission aux apôtres (ce qui n’est pas le cas de l’Église anglicane par exemple).
Il n’existait en Inde qu’une seule et vaste communauté chrétienne, fondée par Saint Thomas après l’an 52, avec des traditions uniques, par exemple le fait que Thomas ait choisi quatre familles de brahmanes comme vivier unique des prêtres et des évêques (à l’image des lévites de l’A-T).
Avec l’arrivée des Européens, il y eut des divisions, y compris au Kerala (voir plus bas).
Le Concile Vatican II avait prévu le rétablissement des autonomies des Eglises orientales liées à Rome selon leurs traditions rituelles et coutumes propres, mais les blocages ont été longs, et il a fallu attendre 2011 pour que le Patriarche de l’Eglise syro-malabare ne soit plus nommé par Rome mais élu par un synode régional, celui du Kerala (Mgr Georges Alencherry). D’autres blocages subsistent encore comme l’opposition à la création d’Evêchés syro-malabars nouveaux (hors du Kerala).
En réalité, dès qu’il s’agit de créer des nouveaux Evêchés catholiques de rite oriental, de telles réserves s’appliquent à toutes les communautés orientales notamment en Occident. Et pourtant, la présence d’immigrés orientaux nombreux les rendrait nécessaires. Alors même que des Evêchés latins ont été créés dans des endroits du monde où il n’y avait et a toujours que très peu de chrétiens latins !
____ Le contexte œcuménique est cependant ouvert. La reconnaissance des Eglises apostoliques entre elles est totale – en résumé, l’Église de Pierre dite « latine » reconnaît la foi et les sacrements de toutes les Églises « orthodoxes » ou dites « pré-chalcédonniennes » comme l’Église apostolique arménienne, l’Église copte (autocéphale), l’Église assyrienne (de St Thomas), etc. – et réciproquement. On est en droit de regretter que ces reconnaissances mutuelles n’aient pas eu lieu il y a mille ans ; elles étaient rendues difficiles alors par le manque de contacts vivants (notamment à cause de la mainmise de l’islam sur le Proche-Orient) et par le fait d’incompréhensions culturelles.
L’arrivée des Portugais
____ En Inde, ces difficultés prirent une tournure dramatique avec l’arrivée des Portugais à partir de 1504. Venus de l’extrémité occidentale de l’Europe, ils avaient bien peu conscience des origines orientales du christianisme et de la mission propre à l’Eglise fondée par Pierre à Rome – dont ils faiaient partie – : être un pôle d’unité, et non de conformation à sa propre histoire, à ses propres rites et manières de penser, mais aussi à ses propres carences. Car, faut-il le rappeler, si chacun des apôtres a reçu le mystère du Christ en plénitude, le problème s’est posé très vite de transmettre cette plénitude aux diverses communautés qu’ils avaient fondées et qui eurent bientôt chacune une histoire spécifique. La communion entre les Églises apostoliques est donc essentielle pour la préservation de la foi : la foi chrétienne est fondée sur les douze apôtres, pas seulement sur l’un ou l’autre d’entre eux. À la suite de Pierre, l’Église latine est ainsi appelée à jouer un tel rôle de centre de relations, d’unité et de sauvegarde du dépôt de la foi, dans le respect des différences d’expression culturelle.
____ Les Portugais ont fait à peu près tout le contraire. On ordonna évêque un jésuite, Francisco Roz, et on l’imposa à la tête de l’Église malabare ; il la latinisa fortement, jusqu’à faire disparaître ses livres sacrés. Les résultats furent malheureux. Si, avant l’arrivée des Portugais, il n’y avait qu’une seule Eglise chrétienne, l’Eglise de Mar Thomas, il y en a aujourd’hui 5 (ou 7 si l’on compte les Eglises protestantes) :
- l’Eglise catholique latine (donc de rite latin),
- l’Eglise syro-malabare, liée à Rome, qui a réussi a sauvegarder ou à retrouver des rites propres et dont la hiérarchie complètement syro-malabare ne fut rétablie qu’en 1923,
- l’Église syro-malankare orthodoxe fondée en 1653 en réaction à l’annexion de l’Eglise de Mar Thoma par la hiérarchie catholique portugaise – elle s’est reliée au Patriarche orthodoxe d’Antioche –,
- l’Église catholique syro-malankare, issue d’une scission de l’Église syro-malankare orthodoxe en 1930,
- l’Église malankare orthodoxe syrienne ou Église malankare indépendante ou Église indienne orthodoxe, qui est autocéphale depuis le XVIIIe siècle (c’est-à-dire non reliée à un Patriarcat occidental ou oriental) et définitivement séparée de l’Église syro-malankare orthodoxe en 1975 ;
- et il faut ajouter l’Église malankare Mar Thoma liée à l’Eglise anglicane et un faisceau d’Églises protestantes, elles aussi résultant de l’influence de l’Europe et plus spécialement de la colonisation anglaise.
____ Pareil émiettement dans les juridictions et les rites s’enracine dans une cause unique : l’intervention de l’Occident, qui, au lieu de contribuer à l’unité, a amené les divisions. La mentalité latine, coupée de ses sources chrétiennes orientales a été forgée par des siècles de pensée conceptuelle où l’intellectualisme universitaire a joué un rôle majeur.
____ C’est ainsi que globalement, les fidèles des Eglises préchalcédoniennes ont été considérés comme des hérétiques – en particulier tous ceux de la grande Eglise de l’Orient, qualifiés de « nestoriens » parce qu’au Ve siècle, ils avaient refusé de condamner le Patriarche de Constantinople, Nestorius, un Oriental qui occupait auparavant le siège patriarcal d’Antioche*.
*cf. THE FATE OF NESTORIUS AFTER THE COUNCIL OF EPHESUS IN 431 by Rafał Kosiński.
Le concile d’Ephèse (431)
____ Il faut revenir sur cette histoire qui traîne aujourd’hui encore. La ville d’Alexandrie d’Egypte se voyait volontiers comme le phare du monde, alors qu’elle n’avait qu’un statut mineur dans l’Empire ; et son évêque grec Cyrille, voulait imposer un de ses amis au siège de Constantinople, centre politique de l’empire romain. Mais c’est Nestorius qui fut élu en 428. Il se révéla un gouvernant au zèle maladroit, en particulier en voulant rétablir des règles de vie parmi certains moines ou dans certaines assemblées chrétiennes – ou des règles de foi dans des assemblées ariennes ou analogues. Rapidement, cela lui valut beaucoup d’inimitiés. Une de ses maladresses fut d’intervenir dans le débat entre les partisans du titre de « theotokos » (qui a porté Dieu) et leurs adversaires qui donnaient à Marie seulement le titre de « anthropotokos » (qui a porté l’homme-Jésus) : Nestorius proposa le titre de « christotokos » (qui a porté le Christ), qui est rigoureusement exact (c’est en portant le Christ que Marie est dite Mère de Dieu). Cela lui fut reproché.
____ La tradition d’Antioche et de l’Orient allait en ce sens-là, restant proche des mots de la Peshitta c’est-à-dire du texte original araméen. Ainsi, quand on lit qu’à la Transfiguration, le Christ changea de parsôpa c’est-à-dire de visage apparent, on peut en conclure que Jésus avait deux parsôpè, celui de l’homme ordinaire et celui de la gloire – mais évidemment pas qu’il y aurait « deux personnes » en lui, ou que son humanité serait coupée de la dimension divine (deux « natures » séparées) : ce serait de la stupidité ou de la mauvaise foi. Au reste, il existe un mot araméen subtil pour désigner la « Personne » de Jésus (rendu en grec par ùpo-stasis, ce qui tient dessous) : son qnôma, comme on le lit par exemple en Jean 5:26 : “Car le Père a la Vie en son qnôma, et il a donné au Fils d’avoir la vie en son qnôma”[1].
____ Ces subtilités théologiques du Nouveau Testament, liées à son anthropologie araméenne, échappaient au Grec Cyrille, qui se préoccupait de faire chuter Nestorius. L’occasion était trop belle d’attaquer celui-ci en l’accusant d’un soi-disant « diphysisme » – c’est-à-dire de séparer « l’ousia-nature » divine et « l’ousia-nature » humaine dans le Christ. L’argumentation conceptuelle, évidemment en grec, était grossièrement binaire. Mais l’esprit latin pouvait y être sensible ; Cyrille fit traduire en latin, à l’intention du Pape Célestin Ier (422-432) une série de douze propositions condamnant Nestorius comme hérétique. Ce faisant, il renforçait un courant de pensée égyptien qui, soulignant traditionnellement la présence divine en Jésus, risquait de ne plus voir que celle-ci – ce qu’on nommera le « monophysisme » – et finira par être considéré comme hérétique à son tour. Et également à tort. Mais nous n’en sommes pas encore là.
____ Dès 428, il semble que Nestorius avait lui-même écrit au Pape. La réponse tarda et ne lui parvient qu’en 430. Entre-temps, suite à la lettre de Cyrille au Pape (430), un concile romain hâtivement réuni et présidé par le Pape l’avait condamné et destitué. Pourquoi une telle hâte ? Célestin Ier et les prélats romains étaient-ils obtus au point de suivre Cyrille qui confondait l’honneur traditionnel et dévotionnel à Marie (depuis le premier siècle !) avec le titre nouveau de théotokos, « qui porte Dieu » ? Ou étaient-ils soucieux d’écarter du siège de Constantinople un ancien moine pas très pourvu de sens pastoral et qui accumulait les maladresses en exacerbant les oppositions ? On ne le saura jamais. Le fait est que le remède fut pire que le mal. Et les bévues s’accumulèrent.
____ La première de ces bévues fut celle de l’Empereur. Il réunit un Concile à Ephèse pour tirer l’affaire au clair, une ville dont la déesse, Artémis, portait justement le titre de Mètèr Théôn, Mère des Dieux (de la terre et de la nuit). L’intention impériale était louable. Elle proposait la présence de seulement quelques Evêques par province. Les ordres de l’Empereur furent respectés dans l’ouest de l’empire (excessivement même), mais Cyrille, arrivé très tôt d’Alexandrie à Ephèse (431), était accompagné de 40 Evêques qui le soutenaient. Tout se joua avant l’arrivée des Evêques d’Orient, qui n’avaient aucune intention de condamner la doctrine de Nestorius – ceux d’Antioche n’arrivèrent que le 26 juin et ceux de la Grande Eglise de l’Orient (Asie) n’arrivèrent jamais : le concile était fini.
____ Le 22 juin, Cyrille était parvenu à arracher l’ouverture du Concile contre l’avis de 68 des 150 Evêques déjà présents ; Nestorius fut condamné et démis le jour même. Au lieu de tout reprendre à zéro, les légats romains arrivés le 10 juillet s’en tinrent aux décisions du synode romain de 430 et cautionnèrent même la mise à l’écart d’une trentaine d’autres Evêques qui déplaisaient à Cyrille. L’empereur Théodose II, très contrarié, fut bien obligé d’arrêter Nestorius et, pour avoir la paix, il fit emprisonner également Cyrille. Celui-ci s’échappa et rentra triomphalement à Alexandrie : il avait obtenu ce qu’il voulait – un de ses partisans, Maximien, remplace Nestorius au siège de Constantinople. Il ne semble pas qu’il ait eu une inimitié personnelle contre ce dernier. Déchu de son siège, Nestorius regagna son monastère d’Antioche, puis termina sa vie monastique en Egypte au monastère libyen de Deir Syriana, sous l’autorité nominale de son ennemi Cyrille ; il y mourut en odeur de sainteté en 451. Cyrille était mort en 444. Le premier est considéré comme un saint par les Orientaux ; le second a été reconnu comme saint par l’Eglise gréco-romaine.
Une rupture profonde entre Occident et Orient
____ Les conséquences du Concile d’Ephèse furent catastrophiques. On eut d’un côté la plupart des Evêques d’Orient qui se sentaient floués, à juste titre, et de l’autre, les partisans de Cyrille, qui en rajoutèrent bientôt en ne voyant plus que « l’ousia » divine en Jésus, à tel point que le nouvel empereur, Marcien, sentit l’obligation de convoquer un concile en 451, à Chalcédoine (en face de chez lui, sur l’autre rive du Bosphore). Il se fondait en cela sur la lettre envoyée par le pape Léon Ier ou « Tome à Flavien » (Patriarche de Constantinople) à propos de ce « mono-physisme ». Deux ans plus tôt, le principal promoteur de cette doctrine, l’Archimandrite Eutychès, avait organisé un concile factice (connu sous le nom de « brigandage d’Ephèse »). Ce fait était suffisamment grave pour qu’on n’ait pas besoin d’un nouveau concile pour condamner sa doctrine. Hélas, ce concile se réunit – et avec 343 évêques (un record !) –, et son résultat fut surtout de détacher un groupe supplémentaire d’Evêques de la communion ecclésiale, spécialement en Egypte.
____ Le monde chrétien fut bientôt clivé : d’un côté l’empire gréco-romain – c’est-à-dire l’Occident –, de l’autre l’Egypte et l’Asie c’est-à-dire l’Orient (dit « préchalcédonien »). Cette déchirure, que des incompréhensions préparaient depuis le IIe siècle, fut suivie par d’autres : les grecs finirent par se brouiller avec les latins au XIe siècle et les latins eux-mêmes, enfermés dans leur augustinisme, se divisèrent à leur tour entre eux au XVIe (Églises dites « protestantes »).
____ La division originelle, liée aux conciles d’Ephèse et de Chalcédoine, imputable à la volonté de voir des hérésies là où elles n’existaient pas, a rendu aveugle aux véritables hérésies, comme l’arianisme qui n’allait pas tarder à déferler sur l’Occident. Et elle affecta la compréhension des Ecritures en Occident. Ce qu’on appelle l’exégèse perdit la simplicité des analogies concrètes de la pensée araméenne dans laquelle Jésus et les apôtres s’étaient exprimés, pour s’orienter vers un intellectualisme (conceptuel, moraliste, symboliste, plus tard vers une lecture marxiste, psychanalytique, etc.). La théologie occidentale, elle, se justifia en opposant la supposée hérésie monophysite, dont elle accusa les Coptes (c’est-à-dire les chrétiens non grecs d’Egypte), au nestorianisme qu’elle reprochait à tous les chrétiens de la Grande Eglise de l’Orient puisqu’ils avaient refusé de condamner Nestorius (ils furent désignés désormais par le sobriquet de « nestoriens »).
____ Ainsi, les gréco-latins se voyaient comme possédant la vérité, entre deux erreurs imaginées : les « Nestoriens » auraient cru en deux natures et deux personnes dans le Christ, tandis que les Coptes auraient cru, au contraire, en une seule personne mais une seule nature (divine) dans le Christ. Synthèse : considérer une seule « Personne » mais additionner « deux natures » – et on a tout compris du mystère de Jésus, il n’y a plus de mystère ! Sauf qu’on n’a fait que jouer avec des mots et des concepts qui caricaturent les expressions orientales de ce mystère. Les communications interculturelles aidant, au XXe siècle, on s’est rendu compte de la relativité des concepts, et toutes les Églises apostoliques ont reconnu réciproquement la légitimité de leur manière respective d’exprimer, dans des cultures différentes, ce qui est une seule et même foi commune.
____ Après cette longue introduction, on pourra lire avec les réserves appropriées et donc avec fruit l’article remarquable que Raymond Janin consacra en 1913 à L’Église syrienne du Malabar (in Échos d’Orient, tome 16, n° 103, 1913. pp. 526-535). Il donne une bonne présentation des problèmes qui ont surgi en Inde depuis l’arrivée des Portugais jusqu’à nos jours. S’il reste un témoin des a priori occidentaux, il considère les chrétiens de Saint Thomas non comme hérétiques, mais comme schismatiques.
Edouard-Marie Gallez
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L’ÉGLISE SYRIENNE DU MALABAR – par Raymond Janin
(p. 526) ____ Les Échos d’Orient ont, à mainte reprise, publié des études sur les Églises orientales, mais ils s’étaient bornés jusqu’ici à peu près exclusivement aux chrétientés de rite byzantin et n’avaient pas encore fait connaître les communautés plus modestes, mais non moins intéressantes, qui portent avec plus de raison que d’autres le nom d’Églises orientales. Il nous a paru bon de combler cette lacune et d’étudier au moins quelques-unes d’entre elles, dans la mesure où elles peuvent être connues à l’heure actuelle, car on est loin d’avoir dépouillé tous les documents qui les concernent.
____ Une bonne fortune nous a permis de réunir sur l’une d’elles des renseignements précieux qui ne sont pas connus du grand public européen. L’Église syrienne du Malabar, aux Indes, malgré l’intérêt que présente son histoire et l’importance qu’elle a prise de nos jours, restait dans une profonde obscurité, que la distance était loin d’atténuer. Il a cependant paru à son sujet des ouvrages remarquables depuis le XVIIe siècle, mais on n’avait pas encore, à notre connaissance, publié une étude complète sur la question. Ce sont ces documents que nous avons utilisés, en y joignant de nombreux détails inédits que nous ont aimablement fournis les Révérends Pères Carmes déchaussés, missionnaires au Malabar [2].
____ Le Malabar est cette région de l’Inde anglaise qui, des environs de Mangalore, s’étend tout le long de la côte occidentale jusqu’au cap Comorin, du 14e au 8e degré de latitude Nord, et qui est limitée à l’Est par la chaîne des Ghâtes. Toute la partie septentrionale dépend de la présidence de Madras, tandis que la partie méridionale, celle qui seule nous intéresse ici, forme deux royaumes, ceux de Cochin et de Travancore, qui sont tributaires de l’Angleterre. Le royaume de Cochin, celui des deux qui se trouve le plus au Nord, a une superficie de 3 523 kilomètres carrés et comptait, au recensement officiel de mars 1911, 918 110 habitants, parmi lesquels 197 953 catholiques [3].
(p.527) ____ Le royaume de Travancore s’étend entre celui de Cochin et le cap Comorin. Sa superficie est de 17 411 kilomètres carrés, et sa population de 3 428 975 habitants (1911), dont 467 131 catholiques [4]. Les 665 084 fidèles que l’Église romaine possède dans ces deux royaumes se divisent en deux catégories bien distinctes. Les catholiques de rite latin, au nombre de 270 000, appartiennent au diocèse de Cochin, desservi par des prêtres séculiers portugais, au diocèse de Quilon et à l’archidiocèse de Vérapoly, confiés, le premier aux Carmes déchaussés de Belgique, le second à ceux d’Espagne. Les catholiques de rite syriaque (413 142 dans toute l’Inde en 1911) dépendent de quatre vicaires apostoliques de leur rite établis à Changanacherry, Ernaculam, Kottayam et Trichur. A côté de ces fidèles de rite syriaque, qui sont les fils de l’Église romaine, il y en a 313 162 autres qui vivent en dehors d’elle et qui se divisent en plusieurs sectes différentes, d’importance fort inégale. C’est à ces 728 304 chrétiens de rite syriaque que nous consacrerons cette étude.
____ Comment expliquer la présence, sur cette côte lointaine, d’une population chrétienne appartenant à un rite oriental et connue déjà depuis plusieurs siècles ?
____ Si nous consultons les traditions locales, la réponse est des plus simples. L’Église syrienne du Malabar remonte à l’apôtre saint Thomas, qui évangélisa l’Inde où il fut martyrisé. Voici ce que les indigènes racontent à ce sujet. Après avoir annoncé l’Évangile chez les Parthes, et fondé les Églises de la Syrie orientale et de la Mésopotamie, l’apôtre se rendit aux Indes en passant par Socotra. Il aborda en l’an 52 à Cranganore, simple bourgade aujourd’hui, mais qui a joué un grand rôle dans l’histoire. En quelques années il convertit un bon nombre de familles de brames et fonda sept Églises le long de la côte du Malabar : Niranam, Quilon, Chayal, Cockamangalam, Maliankara (Cranganore), Kottakaw et Palur. Le P. Du Jarric, S. J., se faisant l’écho de cette tradition, raconte dans son Thesaurus rerum indicarum (Bordeaux, 1616, p. 339) que saint Thomas établit huit archevêchés en Orient, parmi lesquels celui du Malabar. Poursuivant son chemin, l’apôtre alla évangéliser d’autres parties de l’Inde et obtint la couronne du martyre en l’an 67 à Mylapore, un peu au sud de Madras. C’est là qu’il fut enterré.
(p.528 …) ____ Tout d’abord, plusieurs textes prouvent l’existence d’un tombeau de saint Thomas aux Indes. Saint Éphrem, dans une hymne consacrée aux reliques du Saint, fait dire à Satan : « L’apôtre que j’ai tué aux Indes vint à ma rencontre à Edesse », faisant ainsi allusion au transfert des reliques de saint Thomas. On pourrait encore citer plusieurs textes analogues tirés des hymnes de saint Ephrem. Saint Grégoire de Tours, dans son ouvrage Gloria martyrum, rapporte le récit que lui fit un pèlerin gaulois : « Dans la partie de l’Inde où avaient été primitivement ensevelis les restes de l’apôtre saint Thomas, il y avait un monastère avec une église aux dimensions extraordinaires et savamment ornée ; après un long intervalle de temps, les reliques du Saint ont été transportées à Edesse. » Le calendrier syriaque porte à la date du 3 juillet : « Saint Thomas fut percé d’une lance dans l’Inde. Son corps est à Urhai (Edesse), où il a été apporté par le marchand Khabin. » Enfin, les chroniques anglo-saxonnes racontent que le roi Alfred le Grand, pour remercier Dieu des victoires qu’il lui avait accordées en 883, envoya des présents non seulement au tombeau de saint Pierre, à Rome, mais aussi à ceux de saint Thomas et de saint Barthélemy, aux Indes [5].
____ Les textes ne manquent pas non plus qui attribuent l’évangélisation de l’Inde à saint Thomas. Dans une de ses homélies, saint Grégoire de Nazianze s’écrie : « Quoi ! Les apôtres n’étaient pas des étrangers ? En admettant que la Judée fût le pays de Pierre, qu’ont affaire Saul avec les Gentils, Luc avec l’Achaïe, André avec l’Epire, Thomas avec les Indes, Marc avec l’Italie? » Saint Ambroise écrit pareillement :
(p. 529) ____ « Lorsque Notre-Seigneur Jésus dit aux apôtres: Allez enseigner toutes les nations, même les royaumes que des montagnes barbares séparent de nous, il assigna l’Inde à Thomas et la Perse à Matthieu. »
Nous pourrions multiplier les citations. Bien qu’elles n’aient pas toutes la même valeur, elles témoignent cependant qu’aux premiers siècles il y avait une tradition constante dans l’Église universelle relativement à l’apostolat de saint Thomas dans l’Inde.
… ____ Les actes du concile de Nicée (325) parlent d’un certain Jean qui se présenta aux Pères comme évêque de la Grande Inde et de la Perse, et qui signa les canons conciliaires en cette qualité [6]. On admet communément que ce Jean était réellement un évêque syrien du Malabar. Au témoignage de Théophile, surnommé l’Indien, il y avait près des Maldives, en 354, une chrétienté dont la liturgie se célébrait en syriaque. Elle habitait sur la côte occidentale de l’Inde, à Malabar. Cette chrétienté est aussi mentionnée par Cosmas Indicopleustès, en 535, comme habitant Male (Malabar), « le pays où poussent les poivriers »[7]. Il ajoute que les chrétiens de Ceylan (qu’il appelle Perses) et ceux de Malabar avaient un évêque résidant à Calliana (Kalyan), ordonné en Perse, et un autre dans l’île de Socotra [8].
____ Même si l’on rejette entièrement l’authenticité de l’apostolat de saint Thomas dans l’Inde, ce qui nous paraît un peu difficile, il faut donc admettre au moins que le christianisme pénétra d’assez bonne heure dans le pays. Il n’existe malheureusement aucun document ancien qui raconte l’histoire de la chrétienté malabare [mais celle-ci possède des chants traditionnels qui la racontent précisément, voir photo – NDLR]. On en est réduit aux récits que les premiers missionnaires catholiques recueillirent de la bouche des indigènes au XVIe siècle.
Danse du Margam Kali accompagnant le long récitatif qui, depuis deux millénaires,
raconte l’évangélisation par Saint Thomas des juifs et des brahmanes du sud
de l’Inde (on en a des enregistrements)
____ Le British Museum possède une belle collection de manuscrits, lettres et rapports sur les missions des Jésuites dans les Indes. Parmi ces documents, il y a un rapport inédit écrit en portugais, en 1604, par un Père de la Compagnie, et qui résume les traditions locales [9].
(p. 530) Bien que ces récits ne puissent suppléer complètement au manque de textes anciens, il est bon cependant d’en résumer les points principaux, parce qu’ils sont au moins un reflet de la vérité historique.
____ Après la mort de saint Thomas, ses disciples demeurèrent fidèles à sa doctrine durant longtemps. Mais, à la suite de guerres et de persécutions, les chrétiens de Mylapore durent se disperser, tandis que ceux de Cochin, plus heureux, n’eurent pas à souffrir et purent s’étendre de Coulac (Quilon) à Palur. Un des chefs du Malabar, Cheruman Perumal, leur conféra même un statut civil particulier. Cette faveur était due à l’influence exercée auprès du souverain par un certain Mar Thomas Cana, qui joua un grand rôle dans la chrétienté du Malabar, où son nom est toujours vénéré. C’était un marchand syrien [inexact : il était arménien – NDLR] qui vint s’établir dans le pays avec un petit nombre de ses compatriotes, et qui sut bientôt se concilier les bonnes grâces du prince par les services qu’il lui rendit. Il obtint la ville de Cranganore, où il groupa les chrétiens du Malabar en une petite principauté à peu près indépendante, que les vicissitudes des temps ne tardèrent pas à faire disparaître [10]. Cela se passait au IVe siècle, vers 345, d’après les traditions locales ; au IXe seulement, d’après les données de l’histoire [11], il est certain que la persécution des califes détermina à plusieurs reprises des émigrations parmi les chrétiens de la Mésopotamie. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que ceux-ci soient allés se réfugier jusqu’au Malabar, avec lequel ils avaient des relations religieuses et commerciales, et où ils espéraient vivre en paix à côté d’autres chrétiens, leurs frères. Deux autres Syriens, Soper Iso et Prodo, vinrent au Malabar au Xe siècle, et s’établirent à Quilon, où ils bâtirent une église célèbre. C’est là qu’ils moururent en odeur de sainteté.
… (p. 531) ____ Les différents voyageurs européens qui ont visité l’Inde du XIIIe siècle au XVIe, comme Marco Polo, Monte Corvino, Jordan de Sévérac, etc., nous apprennent peu de chose sur les Syriens du Malabar. Ils se contentent de dire qu’ils étaient peu nombreux et assez souvent persécutés. En 1330, le Dominicain Jordan de Sévérac fut nommé évêque par le pape Jean XII pour les chrétiens de ce pays. On lit, en effet, dans la Bulle que le Pape lui confia pour l’accréditer auprès de ses nouveaux fidèles : Nobili viro domino Nascrinorum et universis sub eo christianis Nascrinis de Colombo… . Ces Nascrini, chrétiens indigènes, ne peuvent être que les chrétiens du Malabar, qui étaient désignés dans leur pays sous le nom de Nasrani [12]. Le Pape les invite du reste à abjurer le schisme [« nestorien » – NDLR] et à revenir à l’unité catholique, ce qui ne peut s’appliquer qu »à eux, car on ne connaît pas d’autre chrétienté aux Indes au XIVe siècle : Quas bénigne recipientes et sacris intructionibus quas in doctrina cathoticce fidei vobis facient, vestrarum mentium aures prœbentes devotius, animosque vestros quorumlïbet scbismatum pulsis erroribus, in unitate catbolicae fidei…[13] . On s’accorde à reconnaître dans Columbum, non point la ville de Colombo (Ceylan), qui n’était pas encore bâtie, mais Coulac (Quilon). Nous ne savons pas combien de temps Jordan de Sévérac demeura dans sa mission ni quels résultats il obtint.
____ Pendant une période assez longue, les Syriens du Malabar furent privés de hiérarchie ecclésiastique. En 1490, ils députèrent une ambassade au patriarche nestorien pour lui demander des évêques. Celui-ci envoya deux moines, qu’il consacra dans cette intention, Thomas et Jean. Thomas retourna en Mésopotamie en 1493, et il en revint quelque temps après avec trois nouveaux évêques spécialement consacrés pour les Indes. Ces trois prélats étaient Jaballa, métropolitain, Denha et Jacob. Bientôt ce dernier resta seul avec l’ancien évêque Jean. Les deux prélats durent entretenir d’assez bonnes relations avec les Portugais, car nous voyons saint François-Xavier faire l’éloge de Mar Jacob dans une lettre adressée, le 26 janvier 1549, à Jean III, roi de Portugal. Et, de fait, ils invitèrent les missionnaires catholiques à venir prêcher dans leurs églises et à instruire le peuple. Mar Jacob mourut à Cochin en 1549. Les deux derniers évêques indigènes furent Mar Joseph Sulaka et Mar Abraham.
____ A la mort de ce dernier, Mgr Ménézès, archevêque portugais de Goa, travailla à empêcher les Syriens de revenir au nestorianisme. A cet effet, il réunit à Udiamparur (Diamper) un synode célèbre qui marque une date importante dans l’histoire de la chrétienté syrienne du Malabar (1599). Il obligea l’archidiacre nommé par Mar Abraham pour administrer l’Église syrienne durant la vacance du siège à se proclamer solennellement catholique, s’il voulait conserver son titre d’administrateur. L’archidiacre se soumit à cette condition et fit sa profession de foi en malayalam, langue du pays. Outre l’archevêque et les Jésuites, on vit encore au synode 153 prêtres syriens et environ 600 laïques. L’archevêque leur fit condamner à tous les erreurs de Nestorius, acclamer la foi catholique et proclamer la soumission au Pontife romain. Il fit aussi brûler tous les livres qui enseignaient ex professo les erreurs de Nestorius, qui racontaient de fausses légendes ou qui traitaient de sorcellerie et de superstition, mais il se contenta, dit-on, de faire corriger les ouvrages qui pouvaient être conservés.
____ Il semble bien cependant que cette destruction s’étendit plus loin que ne le voulait probablement son auteur, et que beaucoup d’ouvrages livrés aux flammes ne méritaient pas tant de rigueur. Prit-on d’ailleurs la peine d’examiner chaque livre en détail, et les missionnaires portugais étaient-ils suffisamment compétents pour un tel examen ? Il est bien permis d’en douter. On peut du reste reprocher à Ménézès et à ses collaborateurs d’avoir mis trop de zèle à latiniser et à faire disparaître des usages orientaux très légitimes en eux-mêmes pour leur substituer des pratiques de l’Église romaine, ce qui mécontenta les chrétiens indigènes fort attachés à leurs traditions. De même, au point de vue civil, les autorités portugaises, en voulant imposer trop vite les lois du royaume, causèrent plusieurs fois des troubles dans le pays. Cela explique en partie le schisme qui se produisit cinquante ans plus tard.
____ Sur la demande de Clément VIII, Mgr Ménézès consacra, avec le titre d’évêque d’Angamale, le P. Francisco Roz (1601), qui fut transféré par Paul V à Cranganore, archevêché nouvellement créé. Mar Roz mourut après vingt-trois ans d’épiscopat (18 février 1624) à Palur, sa résidence habituelle. Il eut deux successeurs choisis parmi les Pères Jésuites : Mar Estevâo de Brito (1624-1641), et Mar Francisco Garcia (1641- 1659).
(p. 533) ____ Un schisme éclata sous ce dernier, et prit tout de suite une importance considérable : sur 200 000 Syriens environ, 400 seulement demeurèrent fidèles à l’union (1655). Ce schisme fut l’œuvre de l’archidiacre Thomas Parambil, qui l’avait préparé depuis de longues années avec un autre archidiacre, Georges, auquel il succéda en 1637. La cause principale de cette séparation était la haine des indigènes pour les Jésuites et pour leurs réformes un peu maladroites. Les Syriens refusèrent de se soumettre, et demandèrent des Pères Carmes. Alexandre VII leur en envoya deux, le P. José de Sébastiani et le P. Vincent de Sainte Catherine, qui travaillèrent tout de suite avec zèle au retour des dissidents à l’unité. Les chefs des révoltés déclarèrent qu’ils ne se soumettraient pas tant que Mgr Garcia serait archevêque. Le P. José de Sébastiani se rendit alors à Rome pour soumettre au Pape les difficultés de la situation. Alexandre VII le consacra évêque et l’autorisa à consacrer à son retour au Malabar deux autres évêques comme vicaires apostoliques. Mgr José de Sébastiani revint aux Indes en 1661. Mgr Garcia étant mort sur ces entrefaites (1659), les retours se firent nombreux : 84 églises furent reconquises, alors qu’il n’en restait que 32 à Thomas Parambil. Une révolution politique survint, qui jeta de nouveau un peu de trouble. Les Hollandais s’emparèrent du Malabar et forcèrent Mgr José de Sébastiani et tous ses religieux à quitter le pays. Avant de partir, l’évêque s’empressa de consacrer un prêtre indigène, Mgr Alexandre de Campo (Chandy Perambil).
____ Cependant, les Carmes revinrent plus tard, un à un, sans être inquiétés. Ils gagnèrent même les bonnes grâces des gouverneurs hollandais et s’établirent à Cochin. L’évêque Chandy étant mort en 1676, Mgr Raphaël lui succéda (1676- 1695). Puis le P. Pierre-Paul, Carme, fut nommé vicaire apostolique du Malabar, avec le titre d’Ancyre [14]. Au milieu du XVIIIe siècle, les Syriens étaient au nombre de 150 000, dont 100 000 catholiques et 50 000 schismatiques. Il y avait, en outre, 50 000 catholiques latins.
____ Le siège de Cranganore était vacant depuis la mort de Mgr Garcia (1659). En 1701, Clément XI y nomma un Jésuite, Mgr Rebeiro. Mais les Syriens de Cranganore déclarèrent qu’ils préféraient rester sous la juridiction du vicaire apostolique, Mgr Ange Francis, dont la juridiction fut étendue par le Pape sur tous les Syriens des diocèses de Cranganore et de Cochin. Les Jésuites ouvrirent un collège à Ampalacad, le collège Saint-Paul, où vint travailler Mgr Rebeiro, qui alla mourir à Puttencherry en 1716.
(p. 534) ____ Il eut trois successeurs: Mgr Antonio Carvallo Pimentai (1722-1752), Mgr Vasconcellos (1753-1756), et Mgr Salvador Reis, tous trois Jésuites comme lui. Ce furent les derniers titulaires du siège de Cranganore.
____ De 1678 à 1886, quinze évêques Carmes se succédèrent au Malabar et gouvernèrent les Syriens sans éprouver trop de difficultés, sauf dans la seconde moitié du XIXe siècle. En 1861, un évêque intrus vint de Mésopotamie, envoyé par le patriarche chaldéen catholique, Joseph VI Audo (1848-1878), à la demande d’un prêtre malabar révolté, Antoine Thondanatta, et malgré la défense formelle du Souverain Pontife. C’était Mar Roccos, qui ne resta heureusement que peu de temps, et qui s’en retourna dans son pays d’origine. Le schisme qu’il avait suscité disparut avec lui, pour renaître quelques années plus tard. En 1874, Joseph VI, alors révolté contre Rome, envoya un second intrus, Mellus, qui réorganisa le schisme. Rappelé en Mésopotamie par son patriarche qui avait fait la paix avec le Pape, Mellus eut pour successeur Antoine Thondanatta, qui s’était de nouveau séparé de l’Église catholique. La secte formée par lui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Ce sont les nestoriens ou mellusiens.
____ Par le Bref Quod jam pridem du 20 mai 1887, Léon XIII fit cesser pour les Syriens du Malabar la juridiction de l’archevêque portugais de Cranganore et de l’évêque. de Verapoly, et constitua pour eux deux nouveaux vicariats apostoliques, ceux de Trichur et de Kottayam, qui furent confiés à ties évêques latins. Mgr Lavigne, S. J., évêque titulaire de Milève, fut choisi comme vicaire apostolique de Kottayam, et Mgr Medlycott s’établit à Ootacamund, pour gouverner le vicariat de Trichur. C’était un premier pas vers la constitution d’une Église de rite syriaque au Malabar.
____ En 1896, le Pape alla plus loin encore. Sa vigilante sollicitude pour la conservation des rites orientaux et les demandes réitérées des fidèles Syro-Malabars l’amenèrent à établir, par le Bref Quae rei sacrae du 26 juillet, trois vicariats apostoliques : ceux de Changanacherry, d’Ernaculam et de Trichur, confiés à des évêques indigènes de rite syriaque. Les deux vicariats latins de Kottayam et de Verapoly disparurent par le fait même. Ce fut une vraie fête au Malabar quand on apprit cette nouvelle organisation ecclésiastique. Les trois nouveaux titulaires, choisis parmi les prêtres séculiers indigènes, furent consacrés à Kandy (Ceylan) par le délégué apostolique, Mgr Zaleski, le 25 octobre 1896, et reçurent de la part de leurs fidèles un accueil triomphal.
(p. 535) ____ Enfin, S. S. le pape Pie X, par le Bref In universi christiani du 29 août 1911, rétablit l’ancien vicariat de Kottayam pro genie sudistica, c’est-à-dire pour cette catégorie de Syro-Malabars qui sont connus sous le nom de sudistes. On croit qu’ils descendent des émigrants syriens établis dans le pays au IXe siècle, et renforcés par un autre groupe venu au Xe. Le nouveau vicariat n’a pas de limites déterminées. Il comprend tous les catholiques sudistes dispersés dans les deux vicariats de Changanacherry et d’Ernaculam. C’est pour mettre fin à des querelles intestines que le Pape fut amené à prendre cette mesure. La majorité des catholiques du vicariat apostolique de Changanacherry étant nordistes, ils supportaient avec peine d’être gouvernés par un prélat sudiste, Mgr Mathieu Makil. Ils créèrent une agitation dans le pays, tinrent des réunions, envoyèrent à Rome des pétitions et firent craindre un nouveau schisme, si on ne leur donnait pas satisfaction. D’autre part, ils annonçaient la conversion en masse des jacobites dans le cas où leurs demandes seraient agréées. Le Pape établit le vicariat de Kottayam et y transféra Mgr Mathieu Makil ; les jacobites sont encore à convertir.
____ Malgré les efforts qui ont été faits à diverses époques, Rome n’a jamais consenti à ce que les catholiques syriens du Malabar dépendissent du patriarche chaldéen de Babylone qui réside à Mossoul. L’exemple d’insubordination donné par le patriarche Joseph VI, il y a quarante ans, n’est pas sans avoir influé sur cette décision [15].
Raymond Janin (1913)
NOTES
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[1] Voir aussi Lc 11:17 ; Jn 6:53 ; Rm 1:27. 9:3 ; 1Co 6:7. 9:27 ; 2Co 12:15 ; Eph 2:15 ; Col 2:15 ; 1TH 4:9 ; He 1:3. 10:1.30 ; “Le Messie… en son qnôma a été immolé pour le péché de beaucoup” – He 9:28.
(schéma emprunté aux Assyriens de Chicago).
Voir aussi http://www.orthodoxchristianity.net/forum/index.php?topic=47753.0.
[2] Nous remercions tout spécialement le R. P. André de Sainte-Marie, directeur des Missions des Pères Carmes déchaussés, à Courtrai, et le R. P. Géréon de SaintJoseph, professeur au Séminaire central de Puttenpally (Travancore, Indes).
[3] En dehors des catholiques, il y avait 615 708 Hindous, 32 768 Syriens dissidents, 2 361 protestants, 63 821 musulmans, 4 178 animistes, et 1775 Juifs.
[4] Le Travancore possède 2 298 390 Hindous, 278537 Syriens schismatiques, 39 930 protestants et 226 617 musulmans.
[5] Certains auteurs font mourir saint Barthélemy aux Indes, mais il semble bien que ce soit à tort; d’ailleurs, les traditions du Malabar n’ont pas conservé trace de ce fait.
[6] Labbe, Sacrosancta Concilia, Venise, 1672, t. II, 1. II, c. xxvii col. 231. Cf. Samuel Giamil, Genuinae relationes, Rome, 1902, p. 578.
[7] L. III, P. G., t. LXXXVIII, col. 169.
[8] Les habitants de cette île avaient encore conservé leur foi quand saint François Xavier les visita en 1542, mais le célèbre missionnaire nous apprend que le nestorianisme s’était infiltré parmi eux. En 1680, quand le Carme Vincenzo Maria di Santa Catarina vint à Socotra, il n’y avait plus trace de l’ancienne chrétienté. Cette extinction était due à l’oppression des Arabes musulmans qui forment aujourd’hui la majeure partie de la population, et aussi à la négligence des patriarches syriens, qui se désintéressèrent de cette communauté lointaine.
[9] Mnss. du British Museum, vol. 9853.
[10] On a des copies de l’acte de cession faite par Cheruman Perumal.
[11] Plusieurs auteurs [NDLR: aujourd’hui des sites fondamentalistes hindouistes] insinuent que c’est à cause de ce Thomas Cana et de la popularité dont il a joui aux Indes que les chrétiens du Malabar ont attribué la fondation de leur Eglise à l’apôtre saint Thomas, par une confusion de noms qui n’est pas isolée dans l’histoire. C’est possible, mais cela n’explique pas les textes antérieurs au IXe siècle. [NDLR: C’est impossible, Thomas Cana aurait fondé une petite communauté arménienne]
[12] NDLR : ce nom s’est conservé en Inde depuis les années 50 par les chrétiens de Saint Thomas du premier siècle, tandis qu’il a été abandonné partout ailleurs pour l’appellation de messiens c’est-à-dire chrétiens (cf. Actes des Apôtres 11:26). Mais les messianistes qui se sont opposés aux apôtres et disciples encore vivants après 70 ont repris cette appellation première pour leur secte. Cf. http://lemessieetsonprophete.com.
[13] Oueric Raynald, Annales eccles., n° 55. Cf. Recueil de voyages et de mémoires publié par la Société de Géographie, Paris, 1839, t. IV, p. 8-9.
[14] C’était un prince de la maison de Parme; sa mère était la sœur d’Innocent XII.
[15] Sur l’histoire de la chrétienté syrienne du Malabar, on consultera avec fruit Mackenzie, Christianity in Travancore, Trivandrum, 1901 ; A.-T. Medlycott, Thomas Christian dans The Catholic Encyclopedia, New-York.
Passionnant article ; on ne peut espérer qu’une chose, c’est que ces Églises se réunissent en préservant le dépôt de la foi araméenne. Une fusion institutionnelle est nécessaire, entre les Églises les plus proches au moins.