Mutuelle complémentaire obligatoire : dérive et fausses valeurs
Mutuelle complémentaire obligatoire : dérive et fausses valeurs
par Marion Duvauchel, professeur de Lettres et de Philo
Amour et vérité se rencontrent
Justice et paix s’embrassent
Récemment, un accord a été signé entre les syndicats et les pouvoirs publics pour que tous les salariés du privé comme du public bénéficient d’une couverture sociale complète. Ça a l’air de quelque chose de bon.
D’abord parce qu’un accord signé en douce, comme des voleurs, qui impose à tous ce dont seuls quelques-uns ont besoin, avec un échéancier d’une rare violence, a tout d’un oukase et d’un accord de brigands. Ensuite parce que cet accord a un coût exorbitant, imposé aux établissements, et qui va surtout peser sur les établissements privés, donc sur les établissements catholiques.
Quel rapport avec les valeurs ? J’y viens.
Nul n’ignore l’enseigne clinquante triphasée de la République française : liberté, égalité, fraternité, qui constituent des valeurs universelles. Ce qui signifie qu’elles valent pour tout homme, dans tout les pays du monde, et donc que tout homme participe de la liberté, de la fraternité et de l’égalité.
Mais l’exercice de ces « valeurs », quant à lui, est toujours singulier. Et à examiner la chose de près, si on peut parler de l’exercice de sa liberté – ce qui s’appelle l’agir ou l’action – cela n’a aucun sens de parler de l’exercice de l’égalité. Ce qui s’exerce c’est l’autorité, juste et légitime. La justice la plus élémentaire impliquant de traiter l’autre en frère humain. Parce que la justice est d’abord une relation, comme l’a vu justement saint Thomas.
Il y a deux ans, le cercle des Bernardins a pris pour thématique : « la démocratie est-elle une valeur spirituelle » ? J’ai objecté (gentiment) que la démocratie n’est pas une valeur spirituelle mais une valeur politique, et qu’elle est surtout un mode de gouvernement parmi d’autres. Ils ne m’ont pas réinvitée.
Le mot valeur n’apparait qu’au XIIème siècle, et dans une acception guerrière. On le cherche en vain chez Socrate, dont l’activité philosophique est pourtant diversifiée, on ne le trouve guère chez les Stoïciens.
Qu’en est-il des valeurs chrétiennes ?
Nous avons surtout des vertus : cardinales, théologales et sociales. Mais ces vertus sont aussi des valeurs, parce que nous attachons du prix au courage, à la tempérance, à la justice, à la raison prudentielle ou sagesse pratique. A la foi aussi et à l’espérance. Et bien sûr à la charité et à l’amour miséricordieux.
Si les valeurs sont universelles, la vertu est concrète et toujours incarnée dans tel ou tel homme ou femme, présente à un degré relatif ou éminent (ou regrettablement absente). Elle requiert un entraînement, une éducation, ce que les Anciens – qui sont la jeunesse du monde – appelaient l’« habitus ».
Tout cela, le christianisme ne l’a pas inventé à lui tout seul. Il a repris ces idées aux sagesses qui l’ont précédé, qu’il qualifiait sans dédain de païennes. Dans ces épistémès de l’Antiquité, toute théorie de la liberté s’inscrit dans une théorie morale. Les théories de la liberté des modernes sont des théories de l’action, sophistiquées, terriblement abstraites, captieuses parfois, et même souvent philosophiquement fausses. Ça s’appelle de la rhétorique.
C’est qu’entre temps, il s’est passé ce qu’on appelle le « moment Machiavel » du nom d’un italien malin et retors qu’on a pris bien à tort pour un philosophe et qui, en exposant les méthodes des brigands de l’époque, dans un petit livre encore célèbre (Le Prince) a projeté la sphère du politique hors de celle de la morale, où elle est restée depuis. On a eu un gain formidable de liberté, mais la notion de Bien commun qui était l’horizon des théories politiques des Anciens a été remplacée par l’obsession de la violence politique et de la sexualité.
Tout cela est entré dans le corps social et dans le corps politique. Les sacro-saintes valeurs de la République sont désormais instrumentalisées par tous les médias comme par tous les hommes politiques.
Or, le premier devoir des puissants n’est pas de se poser en garants des valeurs de la République, « il consiste à rendre la justice avec droiture, à observer la Loi, et à vivre selon les intentions de Dieu (Livre de la Sagesse, 6-1-11) ». Il s’agit donc de mettre en place un droit qui respecte la vie humaine, garantit la défense des plus faibles, limite la rapacité et la cupidité.
Où voyez-vous quelque chose de ce programme dans « liberté, égalité, fraternité ? ».
Mais il y a plus grave encore : les normes. Elles sont européennes et elles cadastrent désormais toutes les libertés. Ça commence à en calmer quelques-uns…
La Bible ne parle pas d’égalité. Elle parle de justice et ça va de pair avec la foi, entendue comme fidélité à la Parole, à une Promesse et à un Dieu qui sauve, c’est-à-dire qui redonne vie, mouvement et force. Cette justice se moque de l’égalité et elle le dit clairement : « Au petit, par pitié, on pardonne, mais les puissants seront jugés avec puissance ». Et sans nul doute on scrutera leurs intentions. Dans le domaine de la morale et donc de la liberté, l’intention droite est la chose la plus invisible, et la plus difficile à déterminer, comme l’a vu le vieux Kant, comme l’appelait Nietzsche, assez irrévérencieusement.
Si le levain de nos sociétés chrétiennes avaient été assez pur, assez fort, aurions-nous eu besoin d’une Déclaration des droits de l’homme pour formuler ce que tous nous sentons dans nos cœurs pour peu que nous ayons été confronté à l’injustice : que l’usage de la force contre le plus faible, l’appropriation des richesses et de la beauté de la terre par quelques-uns, l’exploitation de la pauvreté et de la détresse, la rapine organisée, justifiée, légitimée, sont des infamies. A l’échelle d’une société tout entière, elles mettent en danger l’existence même de cette société.
Alors, à l’échelle du monde…