L’Eglise doit être apostolique
____« Je crois en l’Église, une, … et apostolique ». Toute l’Eglise en prière professe sa foi le dimanche de cette manière.
____Une, nous connaissons cette œuvre d’unité que l’Esprit Saint réalise malgré les oppositions développées au cours des siècles. Sainte, cette qualification est liée à celle de ses membres vivants qu’on appelle les saints. Catholique, l’Eglise l’est par son universalité et sa diversité, dès l’origine. Mais apostolique ? C’est encore ce dernier qualificatif dont on perçoit le moins bien sans doute les enjeux.
____C’est sur la foi des apôtres que l’Eglise a été fondée – au nombre de douze, car après la trahison de Judas, Matthias sera nommé pour le remplacer. Cela signifie que ce qu’on dit et fait les Apôtres doit être et rester la source d’inspiration. Cependant, au cours des siècles, ce qu’on appelle dès lors le « dépôt de la foi », dont les successeurs des Apôtres portent la responsabilité, connaîtra bien des vicissitudes.
____Entre le 16e et le 19e siècle, le christianisme européen (catholique romain ou protestant) se répand dans le monde, généralement lié à l’expansion coloniale des États européens maritimes. Ce lien ne fut pas anodin. Il est l’une des raisons pour lesquelles le 20e siècle va poser la question de « l’inculturation » de la foi avec agressivité. Des chrétiens non européens ont-ils à partager une foi fortement liée à un univers culturel et conceptuel gréco-latin, et surtout de plus en plus marqué (à partir du 16e siècle) par un carcan humaniste (rationaliste), celui-ci s’imposant massivement avec la domination politique et le développement de la puissance technologique ?
____Cette question en a conduit beaucoup à rejeter les efforts des mouvements ecclésiaux vivants pour évangéliser aujourd’hui ; en fait, elle est mal posée, et même de manière illégitime. Car elle a déjà été résolue : il y a deux mille ans. Lorsque les Douze ont parcouru la terre pour annoncer la nouvelle du Salut.
____En effet, les Apôtres, à l’exception de Jacques cousin de Jésus et de Jean (qui avaient tous deux une mission particulière, messianique à Jérusalem pour le premier, mission de formation du corps sacerdotal pour le second), ont parcouru le monde aisément accessible d’alors, de l’Espagne à la Chine et du Caucase à l’Éthiopie et à l’Inde. Il étaient aidés par des disciples que, partout, ils laissaient derrière eux pour organiser les Communautés avant d’aller plus loin, toujours plus loin. Ils ont ainsi fondé l’Église du Seigneur une mais aux nombreux visages.
____Aux yeux de l’intellectuel actuel moyen, cette réalité paraît impossible : comment les Apôtres ont-ils pu avoir un pareil impact auprès de tant de cultures et de peuples différents? Comment l’Église a-t-elle pu se révéler, dès le commencement, universelle ? Plusieurs raisons simples sont à considérer. Il y a d’abord l’énergie et la méthode suivie par eux : ils se rendent auprès des communautés hébraïques qui se trouvaient déjà « dispersées » dans le monde d’alors (Chine et Éthiopie-Nubie incluses) ; ils leur annoncent l’Évangile du Messie Sauveur accomplissant les Écritures ; et ces communautés le transmettent ensuite aux populations qui les entourent et à leurs responsables.
____Il y a ensuite la langue parlée par ces communautés : l’araméen, une langue qui présente des caractéristiques anthropologiques éminentes (donc facile à apprendre), et qui surtout constitue alors la grande langue officielle du grand empire du milieu de ce monde, celui des Parthes. Le terrain était donc préparé. Ainsi, les Douze ont pu aller jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1,8 ; Mt 28,19 ; Mc 16,15). Malgré des destructions systématiques, les documents manuscrits ou archéologiques abondent et attestent de leur présence. Jusqu’en Chine. C’est même là que, paradoxalement, les documents archéologiques chrétiens de cette époque ont échappé le mieux aux destructions.
____Selon le Nouveau Testament, le cours de l’histoire humaine a été réellement changé à partir des années 30 – et surtout dans la seconde moitié du 1er siècle. Il s’agit aussi d’une constatation à la portée de toute recherche historique sérieuse – c’est-à-dire suffisamment indépendante du conditionnement idéologique aujourd’hui dominant.
____Parmi les éléments historiques conduisant à cette certitude, la fresque de 17 mètres sculptée sur la falaise de Lianyungang sur la côte chinoise va occuper sans doute une place éminente. Elle retrace l’histoire spirituelle des trois années que l’Apôtre a passées en Chine – aucune autre interprétation n’est plausible ni même possible –; et elle est à mettre en rapport avec d’autres documents chrétiens du 1er ou du 2e siècles, ainsi que l’ont montré les travaux entrepris autour de Pierre Perrier (*). Le christianisme a deux mille ans en Chine et en Inde, comme en beaucoup d’autres lieux de la terre (dont notre Europe occidentale), et il a été multiculturel dès l’origine.
____L’enracinement de l’Eglise dans ce qu’ont dit et fait les douze Apôtres est donc capital. Sans cela, il n’y aurait pas d’avenir.
P. Edouard-Marie Gallez
Bulletin de l’AED-France n°8, décembre 2013, p.4
(*) : Perrier Pierre, L’apôtre Thomas et le prince Ying, éd. du Jubilé, 2012 – ouvrage de 300 photos paru à l’occasion du colloque international organisé par EEChO et l’AED. Un premier livre avait été publié déjà avec Xavier Walter en 2008. Voir aussi eecho.fr/recevoir-le-montage-dias-sur-thomas-en-asie, autour du livre L’apôtre Thomas et le christianisme en Asie – recherches historiques et actualité (colloque 2012 AED-EEChO, AED, 2013).