L’Eglise de l’Orient, histoire et unité
L’Eglise de l’Orient retrouvera-t-elle son unité ?
___Tel est le souhait du nouveau patriarche chaldéen, S.B. Louis Raphaël I Sako (élu le 6 mars 2013), souhait évoqué lors du synode tenu à Bagdad en juin dernier et exprimé récemment par une lettre au chef de l’Eglise assyrienne d’Orient, le patriarche Dinka IV, à l’occasion de son anniversaire (78 ans le 15 septembre 2013).
___Patriarche de Séleucie-Ctésiphon, Mar Dinka IV a installé le siège de son Eglise à Chicago dans les années 1980. De là il est le pasteur de 250 à 400 000 fidèles vivant surtout aux Etats-Unis et en Inde. En 1994 il était venu rencontrer Jean-Paul II ; une déclaration conjointe fut signée concernant la foi dans le Christ, et une commission théologique poursuit ce dialogue. Le 21 juin 2007, il avait également rencontré Benoît XVI.
___À la suite de ces rencontres, le patriarche Sako vient de déclarer que les deux églises orientales de tradition assyrienne devraient « entamer un dialogue pour l’unité, tel est le désir de Jésus ». Des liens très forts unissent déjà pastoralement l’Eglise chaldéenne unie au Saint Siège et l’Eglise assyrienne.
« Aujourd’hui il est urgent d’entamer ce dialogue, face aux grands défis qui menacent notre survie, a écrit le patriarche Sako, en se référant à l’instabilité qu’affronte la minorité chrétienne d’Irak. Sans Unité il n’y a pas d’avenir pour nous ».
___Ces deux Eglises assyrienne et chaldéenne sont issues d’une seule et même Eglise apostolique fondée en Mésopotamie par les apôtres Barthélémy et Thomas, spécialement à Ninive et autour (où le signe de Jonas a été pour ainsi dire réactualisé) et bientôt basée dans la capitale de l’Empire parthe à l’époque, Séleucie-Ctésiphon, bâtie de part et d’autre du Tigre. Un très grand nombre de communautés hébraïques suivirent les Apôtres ; c’est seulement à Babylone, où le mouvement pharisien était très fortement implanté, que peu d’Hébreux suivirent l’Apôtre qui leur était envoyé, Jude-Thaddée accompagné d’Aggaï et Mari. Jude fut d’ailleurs assassiné par des fanatiques du courant pharisien près de Babylone. Il revint à ses deux disciples d’organiser l’Eglise hébréo-araméenne de Mésopotamie qui deviendra la Grande Eglise de l’Orient.
___Les annales rapportent qu’au début du 3e siècle, il y avait déjà 20 diocèses en Mésopotamie et dans les pays du Golfe Persique sous l’autorité de l’Eglise de Séleucie-Ctésiphon. Cette « Eglise Mère » garde encore le souvenir vivant des Eglises fondées par St Thomas en Inde (à partir de 54) et en Chine (de 65 à 68), avec lesquelles des liens très forts furent longtemps gardés notamment par l’intermédiaire de nominations de patriarches et d’ambassades. L’organisation monastique se développa rapidement – Jacques Aphrahat en parle au 3e siècle.
___Au 5e siècle eut lieu la grande persécution de Shapour II, durant 40 ans (439-479) ; le nombre de victimes se compta par centaines de milliers. C’est à cette période qu’eurent lieu les Conciles d’Ephèse (431) et de Chalcédoine (451), auxquels l’Eglise de l’Orient située dans l’empire parthe n’était pas préparée. Depuis longtemps, des incompréhensions existaient entre chrétiens héritiers des traditions apostoliques araméennes et chrétiens s’exprimant dans un cadre culturel gréco-latin – sans parler d’autres nuances théologiques (notamment en Egypte). Ces différences d’expression tournèrent aux oppositions liées à des intérêts personnels, et focalisées autour de formules abstraites éloignées des véritables expressions apostoliques de la foi ; et l’Eglise de l’Orient se retrouva dans le camp de ceux qui, avec le Patriarche Nestorius de Constantinople, furent condamnés par le groupe mené par le président de l’assemblée, l’intrépide Evêque Cyrille d’Alexandrie. Celui-ci avait déjà condamné Nestorius comme hérétique avant tout débat, et le fit déposer avant même l’arrivée des Antiochiens et des légats de Rome. Pour sa part, pour le bien de l’Eglise, Nestorius se soumit et se rendit de lui-même dans un monastère en Egypte – donc sous l’autorité de son ennemi Cyrille. Cet exemple de sainteté aurait dû pacifier les dissensions, mais il n’en fut rien : au Concile de Chalcédoine, en 451, juste en face de Constantinople, quasiment en l’absence des Evêques de l’Occident latin (4 sur 343), les excès de l’anti-nestorianisme furent condamnés à leur tour d’une manière inadéquate, excluant et condamnant des manières de s’exprimer chères aux Egyptiens (en tout cas selon ce que les Grecs en percevaient en grec). Le « rationalisme » qui voulait enfermer la foi dans des formules philosophiques grecques aboutissait ainsi en l’espace de vingt ans à créer plusieurs séparations entre Constantinople et la majorité des chrétiens d’Orient, là où il y avait surtout des incompréhensions. En tout cela, le rôle joué par le Pape romain semble avoir été marginal, sinon à côté de la question ; il fut mis devant le fait accompli. On aboutit ainsi à l’organisation autonome des Eglises apostoliques dites « pré-chalcédoniennes », que les gréco-latins vont prendre l’habitude d’appeler « hérétiques » (nestorienne ou monophysite), sans comprendre réellement les choses. Elles partagent pourtant toutes la même foi, qui, au cours du 20e siècle, a été reconnue mutuellement et pleinement.
___Aujourd’hui encore, les historiens occidentaux, souvent très ignorants de l’Orient, ont tendance à ramener l’histoire de l’Eglise à ces divisions (ce qui arrange bien l’idéologie de certains d’entre eux), jusqu’à faire commencer certaines Eglises d’Orient à ces divisions. Dans Ecrits sur l’Islam, SC n° 383, 1992, p.9, Raymond Le Coz ne sait pas que les Chrétiens « melkites » avant l’Islam parlaient syriaque et non grec. À la page 26, il imagine que « Grecs de culture à l’origine, les jacobites optent au IVe siècle pour la langue locale » [le syriaque] – selon lui, aucun chrétien n’aurait parlé ni célébré en syriaque avant le 4e siècle ! Pire encore, il note à la page 27 :
« En 431, Nestorius est condamné par le concile d’Ephèse et déposé. L’Eglise qui regroupe ses partisans portera désormais le nom du patriarche déchu, et ses membres doivent chercher refuge en Mésopotamie située alors en territoire perse. […] Pour cette raison, leur Eglise prendra également le nom d’Eglise de Perse. […] Le rejet de tout ce qui vient de Byzance les amène à adopter la langue syriaque, un siècle avant leurs ennemis jacobites ».
On croit rêver : les contre-vérités historiques pullulent à chaque ligne, jusqu’au nom même de la grande Église de l’Orient (avec son Katholikos), qui ne s’est jamais appelée Église de Perse (elle s’étendait à tout l’Asie, jusqu’en Inde et en Chine – voir la carte ci-dessous). À ce point de désinformation, il faut parler de négationnisme, qui est une manière de faire disparaître un groupe humain dans son histoire avant de l’éliminer dans la réalité – ce que le génocide de 1915 a voulu réaliser, la volonté génocidaire étant toujours à l’ordre du jour chez les Wahhabites et leur affidés. Le Coz ramène l’existence des chrétiens d’Orient à de supposées suites de dissensions dites « christologiques » propres à l’empire gréco-latin et occulte de ce fait leurs racines apostoliques. De telles fables sont encore largement enseignées ; elle sert surtout à rapprocher les mystérieuses origines de l’Islam, de ces dissensions, alors que les unes sont totalement étrangères aux autres. Le mouvement qui prendra le nom de « Islam » au cours du 8e siècle s’enracine en effet, par ses initiateurs qui ont commencé à endoctriner des Arabes à la fin du 6e siècle, dans un courant bien antérieur, qui remonte à la fin de l’époque apostolique. La seule chose qui soit historiquement en rapport avec les dissensions entre Communautés chrétiennes, c’est le fait que les nouveaux maîtres islamiques de l’Orient joueront de celles-ci pour monter les hiérarchies chrétiennes les unes contre les autres.
___Au cours des 7e-8e siècles, la grande Eglise de l’Orient poursuivit sa Bonne Annonce en Asie, en particulier sous le patriarche (Katholikos) Isho-Yab II, et compta plus de deux cent Evêchés, notamment à Lhassa – avant que des moines bouddhistes fanatiques prennent le pouvoir et transforme le Tibet en théocratie autoritaire – ainsi qu’en Chine, en Inde, à Ceylan, etc. L’un des grands témoins oculaires occidentaux de l’expansion de cette Eglise fut le grand voyageur vénitien Marco Polo qui resta 17 ans (1274-1291) à la cour du prince mongol Koubilaï Khan qui l’accueillit à Pékin. Marco Polo put rencontrer le patriarche de l’Eglise de l’Orient Yab-Alaha III en visite depuis Maragha en Azerbaïdjan chinois. Celui-ci voulait visiter les principales communautés parmi ses 60 à 80 millions de fidèles, parallèlement à la mission que lui avait confiée le prince Koubilaï de recenser les chrétiens de son empire (Koubilaï vainquit et soumit les musulmans, et occupa Bagdad). L’empereur souhaitait en effet protéger les chrétiens et leur « organiser » une place dans la société horizontale qu’était la société mongole.
___Un grand espoir naquit alors chez les chrétiens de voir surgir un nouveau Constantin prendre la tête d’un grand empire oriental leur assurant la paix et la liberté. Des missions sino-mongoles furent envoyées en Occident : d’abord auprès de Louis IX en 1248 (le projet de restituer Jérusalem aux chrétiens, qui formaient la majorité de la population, n’était pas étranger à ces missions), puis auprès de Philippe le Bel et d’autres souverains européens en 1287. Mais l’Occident était divisé et les efforts du roi Saint Louis furent détournés par la perfidie du sultan d’Egypte, qui avait feint de se convertir à la foi chrétienne. Une occasion unique fut manquée alors.
Cette carte est tirée du Missel Chaldéen (on en trouve une ébauche chez Dauvillier Jean, Les provinces chaldéennes de l’extérieur au Moyen Age, p.260)
___Le patriarche Yab-Alaha III mourut en 1317 sans avoir converti l’empereur mongol. Les évènements allèrent alors de mal en pis. Les Mongols prirent une autre attitude envers les chrétiens après le changement de dynastie en 1363. En effet, Tamerlan, après avoir embrasé l’islam, se lança dans la conquête du monde et l’extermination des chrétiens. Les chercheurs sérieux dénombrent quelques 17 millions de chrétiens tués dans les années qui suivirent. Ainsi, les efforts de plusieurs siècles d’évangélisation s’effacèrent dans des régions entières.
___Du côté ouest, l’Empire ottoman renaissant formait l’autre branche de la tenaille qui enserrait l’Eglise de l’Orient, dont l’activité missionnaire s’éteignit dans la soumission forcée au sultan. Commencèrent pour elle des temps sombres, un long calvaire dans le sang et les larmes. La disparition des grands patriarches et des savants, le déclin de la culture et le recul de la langue araméenne cédant la place à la langue turque/arabe contribuèrent à l’affaiblissement du dynamisme de ces communautés. La discrimination religieuse se fit de plus en plus dure et humiliante – les chrétiens durent s’habiller différemment pour être reconnus.
___Dans cette situation critique, l’Eglise de l’Orient comprit conscience de l’importance de restaurer l’unité avec tous les autres chrétiens, surtout avec ceux d’Occident. Des tentatives d’union avaient été entreprises déjà, à l’initiative de Dominicains par exemple sous les mongols (dans les années 1250) et à celle même d’un empereur mongol par le biais d’un moine chrétien chinois, Bar Saouma (en 1287). Au 16e siècle, à la suite d’erreurs de nominations à la charge patriarcale et d’évêques devenus héréditaires, les mécontentements avaient conduit à l’élection d’un nouveau patriarche, Mar Yohannan Soulaqa, conformément aux canons de l’Eglise de l’Orient promulgués au 5e siècle. Celui-ci partit alors pour Rome et, le 18 novembre 1552, y fit profession de foi catholique. Il fut sacré évêque et proclamé patriarche de l’Eglise Chaldéenne par le pape Jules III le 20 avril 1553, en l’église Saint Jean de Latran. Il résidera à Amed (Diarbekir) dans l’est de la Turquie actuelle. Ses successeurs résideront à Mossoul puis à Bagdad. Mais son autorité fut contestée et, bientôt, un Patriarche non uni à Rome fut élu (à l’instigation du pouvoir turc).
___S.B. Louis Raphaël I Sako est ainsi le 21e patriarche de cette Eglise chaldéenne. S.B. Dinka IV est le 34e patriarche de l’Eglise appelée assyrienne. Très souvent, et spécialement dans la diaspora qui constitue, hélas, la majorité des fidèles de ces deux Eglises aujourd’hui, les deux communautés collaborent au plan pastoral. Vont-elles se retrouver unies dans un avenir proche ? Cela paraît possible, Dieu aidant, car S.B. Dinka IV a répondu favorablement à la proposition de S.B. Sako le 3 octobre dernier !
Article intéressant , quoique écrit sur un ton polémique , mais enrichissant. Un tour d’horizon résumant deux mille ans d’histoire , tâche peu facile mais bien réussie comme introduction . Cela incite à des lectures supplémentaires . Merci aux contributeurs .