Le Nouveau Testament et les « temps » futurs
Comment le Nouveau Testament évoque les « temps » futurs
P. Edouard-Marie /notes de travail
Les mots s’avèrent impuissants à exprimer des réalités de l’avenir ; celles-ci se dévoilent seulement au regard de la foi et ne sont pas conceptualisables. Beaucoup d’expressions remontent en araméen à Jésus lui-même, mais les adaptations aux auditeurs de langue grecque et les développements ultérieurs ont fait que le vocabulaire a dû se chercher parfois. Globalement, il faut distinguer
• « avant le temps-période (ò aíôn) actuel » ,
• « pendant le temps » – celui où nous sommes –,
• et « après le temps », ainsi que le rappelle la doxologie finale de Jude 0,25 :
“Gloire… à l’unique Dieu notre Sauveur par Jésus Christ notre Seigneur, avant tout temps (pro pantos tou aíônos) et maintenant et pour tous les temps (eís pantas tous aíônas)”.
Il faut aussi garder en vue que l’attente de ce qui doit venir ne s’oppose aucunement dans le Nouveau Testament à la certitude d’être avec le Christ dès après la mort ; au contraire, ainsi que le grand exégète André FEUILLET l’a établi :
“L’attente de la Parousie joue dans le christianisme primitif un rôle essentiel et se maintient d’un bout à l’autre du Nouveau Testament… elle n’est pas rejetée à l’arrière-plan ni même, à proprement parler, concurrencée par une autre perspective qui se fait jour de plus en plus nettement : celle d’une rencontre avec le Christ aussitôt après la mort”.[1]
Cette double perspective apparaît clairement aussi chez saint Paul :
“L’eschatologie transcendante du judaïsme tardif, écrit-il encore, et pareillement celle de l’Apôtre des Gentils concilient sans peine l’attente du retournement de la fin des temps et celle de la survie bienheureuse après la mort”.[2]
L’éskhatos biblique dernier
Les passages caractéristiques donnés ci-après n’ont d’autre but que de montrer la cohésion du témoignage – pourtant multiforme – du Nouveau Testament. Dans leur vision essentiellement révélée, la Venue glorieuse de Jésus n’est pas la fin de tout – ce que la traduction du grec éskhatos par dernier pourrait laisser entendre en français : quand on parle des derniers temps, on sous-entend qu’il n’y en a plus après. Et, tout naturellement, on en viendrait à conjecturer des représentations de fin du monde au sens le plus effrayant de destruction ou de disparition, dans le genre du film hollywoodien Apocalypse 2012 ou de bien d’autres. Cette fiction nourrit certes les auteurs de science-fiction (et certains cinéastes talentueux), mais ce n’est pas la théologie du Nouveau Testament. Dans le grec biblique, éskhatos n’a pas cette signification mais celle de ce qui vient ensuite : ce qui sera véritablement dernier appartient au mystère de Dieu Lui-Même.
Quelques exemple bibliques tirés de la LXX illustrent le danger de rendre éskhatos simplement par dernier. En Qo 4,16, on lit : “Oì éskhatoï ne s’en réjouiront même pas” ; ces oì éskhatoï ne peuvent évidemment pas désigner les derniers, mais bien ceux qui viendront par après (hébreu ha-’aharônim), la postérité (pareillement en Qo 1,11, et de même en Gn 33,2 et en Ex 4,8). En Nb 24,14, Dt 4,30, Jr 23,20 ;30,24 ;49,39, Ez 38,16, Os 3,5 et Mi 4,1 etc., l’expression grecque éskhaton tôn ‘êmerôn correspond à l’hébreu be-’aharît ha-îamim, c’est-à-dire dans la suite (ou l’après) des jours et non pas dans le[s] dernier[s] des jours (dans les derniers jours pour Is 2,2), sinon le texte n’aurait plus de sens. Cette précision évite d’imaginer, à la lecture de l’un ou l’autre passage mal traduit, que le NT enseignerait qu’il n’y aurait plus de temps après le nôtre actuel.
Distinguer les temps
Le classement qui suit n’a d’autre ambition que de nous familiariser avec certaines expressions du Nouveau Testament, facilement déroutantes pour le lecteur d’aujourd’hui, et pourtant si pertinentes :
- les TEMPS qui ont commencé (ou qui viennent après et présents)
“[Le Christ] s’est livré pour nos péchés afin de nous arracher à la perversité du temps présent (aíôn énestôs)” (Gal 1,4).
“[Le Christ], prédestiné avant la fondation du monde et manifesté à cause de vous lors de l’après des temps (qui passent, ép’ éskhatou tôn khronôn)” (1P 1,20).
“Or, c’est maintenant, une fois pour toutes, lors de l’aboutissement des temps (épi sunteleïai tôn aíônôn), qu’il s’est manifesté pour abolir le péché par son sacrifice… il apparaîtra une seconde fois à ceux qui l’attendent pour leur donner le salut” (He 9,26b.28b).
“Tous ces événements [vécus par nos pères] leur arrivaient comme exemple et furent mis par écrit pour nous instruire, nous en qui les fins des temps (ta telê tôn aíônôn) trouvent leur réalisation (kat-ántaô, aboutir)” (1Co 10,11).
- le FUTUR PROCHE
“Sache bien ceci : dans des jours à venir (én éskhataïs ’êmeraïs) viendront des moments fixés (kaïroï) difficiles” (2Tm 3,1).
“…ce qui est dit par le Prophète Joël : Alors, dans les jours à venir (én taïs éskhataïs ’êmeraïs), dit Dieu, Je répandrai de Mon Esprit sur toute chair” (Ac 2,16-17).
“Votre or et votre argent rouillent et leur rouille servira contre vous de témoignage… Vous vous êtes accumulé de la colère dans des jours à venir (én éskhataïs ’êmeraïs) !” (Jc 5,3).
“Tout d’abord sachez-le : lors de suites de ces jours (ép’ éskhatôn tôn ’êmerôn) viendront des sceptiques moqueurs menés par leurs passions personnelles qui diront : « Où en est la promesse de sa Venue ? Car depuis que les pères sont morts, tout demeure dans le même état qu’au début de la création »… Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion” (2P 3,3-4,9)[3].
“Ils vous disaient : « Lors de l’après de ce temps (qui passe, ép’ éskhatou tou khronou), il y aura des railleurs qui seront menés par leurs passions impies ». Ce sont bien eux !” (Ju 0,17-18).
“Nous, les vivants, qui serons restés jusqu’à la Parousie (parousia, présence, arrivée) du Seigneur… les morts en Christ se relèveront d’abord, ensuite nous qui serons restés, nous serons ravis[4] en même temps qu’eux dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs ; ainsi, nous serons toujours avec le Seigneur” (1Th 4,15-17).
- la FIN DE CE TEMPS
“… guerres, rumeurs de guerre… Mais ce ne sera pas encore la fin (to telos) » (Mt 24,6 parall. à Mc13,7)
« Cette bonne nouvelle (eúaggelion) du Royaume sera proclamée dans le monde entier, en témoignage pour toutes les nations. Et alors viendra la fin (to telos) » (Mt 24,14)
“Les disciples demandent à Jésus “… un signe de ta Parousie et de l’aboutissement (sunteleïa) du temps (actuel, ò aíôn) »” (Mt 24,3).
« De même que l’on ramasse l’ivraie pour la brûler au feu, ainsi en sera-t-il dans l’aboutissement du temps (én têi sunteleïai tou aíônos) : le Fils de l’homme enverra ses anges ; ils ramasseront, pour les mettre hors de son Royaume, tous les scandales et tous les faiseurs d’iniquité, et les jetteront dans la fournaise de feu : là seront les pleurs et les grincements de dents » (Mt 13,40-42).
« Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à l’aboutissement du temps (èôs tês sunteleïas tou aíônos) » (Mt 28,20).
“L’Esprit le dit expressément : dans les moments fixés ultimes (én ùsterioïs kaïroïs), certains renieront la foi” (1Tm 4,1).
“Cet héritage vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde par la foi pour le salut prêt à se révéler dans un moment fixé à venir (en kaïrô éskhatô)” (1P 1,4-5).
En conclusion
On le voit, les expressions ne sont pas figées, mais elles convergent. Il ressort qu’au pluriel, le terme « temps » (aíôna ou khronoï) désigne les temps passés par opposition au présent nouveau que vit la jeune Eglise ; au singulier, il désigne plutôt ce qui est actuel, mais en vue d’un futur. Quant à l’expression « les jours à venir » (souvent rendue par « derniers jours » ), elle désigne ce futur en tant qu’il prépare directement la Parousie.
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[1] FEUILLET A., Le problème de la Parousie, in SDB, t.VI, 1960, 1331-1419 (col. 1412).
[2] FEUILLET A., Le « ravissement » final des justes et la double perspective eschatologique dans 1Th, in Revue Thomiste, 1972 /4, p.558.
[3] Suite à la destruction du Temple en 70, certains judéo-chrétiens attendaient la “consommation eschatologique”, écrit André FEUILLET in art. Parousie o.c., col. 1403 ; l’écrit pétrinien rectifie cette vision étroite et inexacte des promesses de Jésus.
[4] Nous mentionnons ce texte très imagé parce qu’il paraît le plus déroutant de tous. En fait, il se comprend aisément à la lumière des parallèles vétéro-testamentaires mis en lumière par André FEUILLET (in Le ravissement…, p.551) en particulier le Ps 73,23-24 :
“Je suis à jamais avec Toi… Tu me prendras dans la gloire” – c’est-à-dire comme Hénoch et Elie – ; et Sg 4,10-11 : “Le juste a su plaire à Dieu… il a été ravi (árpazein) de peur que la malice n’altérât son intelligence”.
Il ne s’agit est pas d’une description mais d’une affirmation imagée : “Le ravissement parousiaque sera l’aboutissement suprême d’une vie d’union au Christ inaugurée ici-bas et jamais interrompue”.