Forum-commentaires ‘Islam et arabité’
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-1- Ismaël, « père » des Arabes : un mythe ?
De L-M D. (Avrillé) :
• Aux pages 122-123 du livre Le malentendu islamo-chrétien, en référence aux travaux de René Dagorn, on lit que les Arabes ne sont sans doute pas les descendants d’Ismaël et que, en tout cas, ils n’ont jamais prétendu l’être avant le 7e siècle.
Or, au livre VI de son Histoire ecclésiastique (ch.38, §10), Sozomène († vers 450) rattache l’origine des Saracènes (ou Sarrazins) à Ismaël (« Cette tribu tient son origine d’Ismaël, fils d’Abraham »), cf. Sources Chrétiennes, vol. 495, p.463. Il est vrai qu’il précise ensuite que les Saracènes avaient oublié cette origine et que « certains d’entre eux, étant entrés en contact avec les juifs, apprirent d’où ils étaient issus, ils revinrent à leur parenté » (p.465).
Il semble d’ailleurs que St Jérôme († 420) identifiait lui aussi les Ismaélites et les Saracènes (in Comm. sur Ezéchiel, 8, 25, 1-7). Je vois là une difficulté.
• Autre question : comment une religion issue d’une secte ex-judéo-chrétienne (« judéo-nazaréenne ») peut-elle n’avoir pas gardé de référence au baptême ou à l’eucharistie? Comment expliquer qu’elle n’ait pas imposé ce baptême aux combattants arabes qu’elle a pris à son service?
Réponse à la PREMIÈRE QUESTION :
L’étymologie grecque de Sarakènoï est probablement celle du verbe skènoô, vivre sous tente, qui vient elle-même de la racine araméenne škn, habiter. Il est évidemment tentant de voir le nom de « Sara » dans sarakènoï, et les pieux commentateurs comme Sozomène se sont pas privé du plaisir de rapprocher ainsi certains nomades de la descendance d’Abraham. Cependant, jamais dans la Bible, les nomades Ismaélites ne sont dits être des Arabes.
Au reste, René Dagorn, dans son livre La geste d’Ismaël d’après l’onomastique et la tradition arabes (Genève, Droz, 1981), p.249 – note 22, n’ignore pas ce passage de Sozomène : voir ici sur google-books. Mais il l’interprète strictement, comme il faut le faire.
L’assimilation entre Arabes et saracènes est une hypothèse gratuite, et si certains « juifs » ont évoqué à des Arabes leur supposée ascendance abrahamique par Ismaël, ceux-ci n’en ont tenu aucun compte avant le 7e siècle. Au reste, quel est le plus vieux texte connu qui affirme que les Arabes sont les fils d’Ismaël ? Il semble que ce soit le Livre des Jubilés, quand il est question du testament d’Abraham (20,1-13) – cf. Ecrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p.716. Or, comme j’ai eu l’occasion de le montrer (dans Le messie et son prophète), ce livre des Jubilés est typiquement judéo-nazaréen (pas nécessairement d’origine mais en tout cas de réemploi).
De plus, l’insignifiance de la figure d’Ismaël dans le Coran montre bien qu’il n’est nommé là qu’en fonction de la légende tenue par ceux qui enseignent les Arabes, pas à cause de l’importance que ceux-ci lui auraient accordée.
Réponse à la DEUXIÈME QUESTION :
Les Arabes voisins des judéo-nazaréens en Syrie étaient très probablement des baptisés. On ne peut pas conclure de l’absence de mention du baptême qu’il n’était pas pris en compte, de même que l’absence de toute mention du retour de Jésus sur la terre dans le texte coranique ne signifie pas que les musulmans n’y croient pas, bien au contraire (mais là, le passage a pu être enlevé : cf. Corans anciens et suspicion d’ajouts).
En fait, la nécessité du baptême semble avoir été sérieusement discutée dans certains milieux ex-chrétiens (cf. Le messie et…, tome I, note 334), tandis que d’autres multiplient les actes de baptême (les « Elkhasaïtes » par exemple, ou les Sabéens – mentionnés dans le texte coranique !).
Quant à l’Eucharistie, St Irénée signale déjà que les Ebionites la célèbrent avec de l’eau à la place du vin (Contra Haereses, livre V), ce que St Jérôme indiquera également. Ce point est traité par exemple en cet article.
Ceci répond à la question.
Edouard-Marie Gallez
Autre élément de réponse à votre deuxième question : les réminiscences de l’eucharistie présentes dans la sourate 5 (La Table Servie), qui mentionne implicitement l’eucharistie et la Cène
Aux versets 112-115 :
112. (Rappelle-toi le moment) où les Apôtres dirent: «Ô Jésus, fils de Marie, se peut-il que ton Seigneur fasse descendre sur nous du ciel une table servie?» Il leur dit: «Craignez plutôt Allah, si vous êtes croyants».
113. Ils dirent: «Nous voulons en manger, rassurer ainsi nos cœurs, savoir que tu nous as réellement dit la vérité et en être parmi les témoins».
114. «Ô Allah, notre Seigneur, dit Jésus, fils de Marie, fais descendre du ciel sur nous une table servie qui soit une fête pour nous, pour le premier d’entre nous, comme pour le dernier, ainsi qu’un signe de Ta part. Nourris-nous: Tu es le meilleur des nourrisseurs.»
115. «Oui, dit Allah, Je la ferai descendre sur vous. Mais ensuite, quiconque d’entre vous refuse de croire, Je le châtierai d’un châtiment dont Je ne châtierai personne d’autre dans l’univers.»
Ces versets ne cessent de donner des migraines exégétiques aux commentateurs musulmans … Comment le coran pourrait-il se référer à la sainte Cène ?