Christianismes proche-orientaux et 7 années d’EEChO

Les chrétiens, une nécessité pour le monde

            Une question nous a été posée : pourquoi privilégier de parler des chrétiens alors que tant d’autres souffrances existent dans le monde ?

            Il est vrai que la souffrance humaine est universelle, elle est même une conséquence de l’emprise du Mal sur les personnes et sur la société. Mais justement, le Christ est venu délivrer de la chaîne du mal, ce qui se réalise en ceux qui reçoivent le baptême. C’est pourquoi, ce sont les chrétiens qui apportent au monde la réconciliation, le pardon et le progrès : ils en vivent déjà, même si c’est de manière très imparfaite. D’autres partagent sans doute leurs aspirations, mais peuvent-ils se sortir par eux-mêmes de la chaîne du mal, et en particulier aujourd’hui des systèmes qui les conditionnent ? Prétendre échapper au cycle infernal des oppressions, des mensonges et des vengeances sans apport chrétien ou en opposition avec lui est idéologique. Ce sont les chrétiens qui portent le monde –« Vous êtes la lumière du monde » dit Jésus (Mt 5,14)–, et, même si d’autres en parlent aussi, ce sont eux qui attendent et préparent le jour de la délivrance de ce monde. Ce jour ne pourra qu’être l’œuvre de Dieu Lui-même – la deuxième Venue (He 9,28). Il fut l’un des thèmes centraux de notre session d’été.

            Vers la fin de 2011, après en avoir discuté entre nous, nous avons décidé unanimement qu’EEChO parlerait des horreurs que les islamistes perpétraient (déjà) en Syrie. L’avenir de plusieurs Eglises apostoliques était en jeu et des Evêques d’Orient le demandaient : aux yeux des Proche-Orientaux qui sont parmi nous, il fallait évidemment en parler. De plus, la signification planétaire des événements survenant en Syrie commençait à apparaître. Auparavant, on n’avait pas bien compris ce qui s’était passé en Libye – cela semblait ne concerner que des musulmans, peu nombreux au demeurant. Mais la guerre orchestrée ensuite en Syrie et autour obligeait à ouvrir les yeux. La première puissance mondiale en matière militaire et médiatique était engagée dans des projets de destruction d’Etats : après la Libye, la Syrie et aussi l’Egypte. Ces projets impliquaient l’imposition de tyrannies islamistes, et donc l’éradication des chrétiens (il s’agit toujours de l’un de leurs objectifs). Ainsi, dès 2011, nous avons été l’un des tout premiers groupes chrétiens occidentaux de France à aborder les dossiers syrien et égyptien en vérité.

egypte-eglise_detruite2           Par la suite, divers sites web ont pris peu à peu la relève [1], de sorte que l’aspect d’information d’actualités devint moins prioritaire pour EEChO ; son apport consiste plutôt à mettre en lumière les causes des horreurs qu’aujourd’hui tous les médias se sont mis à dénoncer après les avoir couvertes durant des années. Car, comme l’écrit Mgr Jean Abdo Arbach, archevêque catholique des Grecs melkites de Homs, Hama et Yabroud en Syrie :

“Ce que nous voyons en Irak est absolument dramatique mais ces monstres barbares n’ont rien inventé à Mossoul. Ce que les Irakiens endurent aujourd’hui sous le feu des médias a débuté il y a bien longtemps en Syrie, sans que personne ne s’en soucie”.

Tous les Evêques de l’Orient ont dit la même chose. EEChO a contribué à faire connaître leur voix dès 2011.

            Reste la question : pourquoi les médias dénoncent-ils nunaujourd’hui les islamistes de « l’Etat Islamique » (EI) proclamé en Irak et en Syrie ? Bizarre : dans le même temps, ils passent sous silence le « Califat » qui a été proclamé également au nord du Nigeria et qui tue au moins autant (surtout des chrétiens). Réponse au premier degré : parce qu’Obama a condamné l’EI. Même celui qui, en France, avait dit que les jihadistes « font du bon boulot » lui a emboîté servilement le pas. Mais pourquoi maintenant ? Ce qui a changé en juin 2014, c’est qu’une partie des 120 000 jihadistes bien équipés et entraînés a été détournée de Syrie pour aller combattre le gouvernement de l’Irak. Qui les a financés et /ou formés, où sont leurs bases arrières et qui dirige leurs communications ? Et surtout pourquoi en juin ? Pure coïncidence : les gouvernants irakiens venaient de signer une série d’accords avec la Chine et l’Iran, et même avec la Russie. Pure coïncidence aussi : quand ce gouvernement, menacé par les troupes de l’EI arrivées à quelques kilomètres de Bagdad, est remplacé par des vassaux de Washington, Obama annonce une grande coalition contre « l’EI » et, le 10 septembre, lance une nouvelle « guerre contre le terrorisme » (en souvenir de celle que décréta Bush junior peu après le 11 septembre 2001). Sincèrement, il est permis de penser qu’il ne s’agit pas de hasards mais de la reprise en main d’un Irak un peu trop indépendant. Selon une autre analyse, ce serait moyen détourné d’attaquer la Syrie, sous prétexte d’y combattre les jihadistes. 

            Autre coïncidence, mais mineure : la peur des Saoudiens. Cela faisait des mois que le régime de Ryad se sent menacé par le monstre terroriste qu’il finançait depuis plus de vingt ans : en Syrie, des milliers de Saoudiens se trouvent parmi les jihadistes, et l’EI s’approche dangereusement des frontières du Royaume. Ses émissaires font donc pression pour que l’EI soit condamné dans les mosquées de France. Il y a des imams qui, comme Dalil Boubakeur, l’avaient déjà fortement condamné, et, pour satisfaire la demande saoudienne, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) a lancé un « Appel de Paris » qui dénie aux jihadistes le droit de se prévaloir de l’Islam ; des imams assez nombreux pensent le contraire. Bref, rien de nouveau sous le soleil.

            Heureusement, en France, les jeunes chrétiens ont, pour la plupart, pris conscience des pièges médiatiques, et ils perçoivent davantage que leurs aînés la volonté de faire disparaître le christianisme au Proche-Orient (et même en France). Ce qu’ils savent moins, c’est que cette volonté s’enracine dans une histoire, et qu’en Orient, elle renvoie à l’effroyable génocide commencé en avril 1915 et qui fit 1 800 000 victimes chrétiennes, toutes confessions confondues. À contrecœur, les médias ont été obligés d’évoquer (un petit peu) les souffrances des chrétiens au Proche-Orient – la « lutte contre l’EI » oblige. Tant mieux, mais ne nous leurrons pas pour autant : l’EI ne va pas disparaître.

            Obama a prétendu que l’EI « ne parle au nom d’aucune religion ». La caractéristique du pouvoir totalitaire est d’être en mesure d’affirmer des contrevérités énormes sans que les médias n’élèvent la moindre critique, au contraire : ils reprennent l’argumentation du maître (le CFCM l’a fait aussi). Mais la vraie question est peut-être ailleurs. L’Islam ne serait-il pas devenu un jouet entre les mains de commanditaires extérieurs – ceux d’Obama par exemple –? Il ne s’agit pas de nier les responsabilités islamiques elles-mêmes. Dans cette vidéo, un musulman rappelle que les musulmans d’Algérie se sont entretués sans pression ou injonction extérieure. En fait, personne n’échappe au poids du « projet islamique », explique Sami Awad Alddeb, professeur de droit musulman et arabe en Suisse :

“projet islamique, à savoir la domination sur l’ensemble des régions du monde, la soumission des non-musulmans au pouvoir de l’islam, et l’imposition de ses normes aussi cruelles soient-elles à la société […] On l’a vu en Irak. Les chrétiens et les yazidites ont été persécutés par leurs propres voisins musulmans, collègues d’études musulmans et collègues de travail musulmans. Il a suffi que la situation tourne en faveur des djihadistes, pour que ces musulmans d’apparence pacifique, deviennent des tortionnaires et des bourreaux” [NDLR : la force d’une idéologie est précisément d’entraîner les gens là où ils n’iraient pas d’eux-mêmes]

            Cependant, rien n’est plus facile que de manipuler un tel « projet islamique », d’autant plus qu’il s’accompagne de rêveries destinées à soulager le quotidien oppressif des sociétés islamiques : sacralisation du pouvoir, asservissement des femmes et souvent « culture de mort ». Traditionnellement, la manipulation est interne, entre les mains des monarchies qui se sont succédé à la tête du Califat ; mais, dans l’histoire islamique récente, elle est de plus en plus externe, de la part de pouvoirs impérialistes ou financiers – et avec un mépris encore plus total de la personne humaine. Ainsi, les deux aspects de la réalité islamique ne peuvent pas être dissociés : d’une part le « projet islamique » intimement lié à l’identité musulmane, et de l’autre la manipulation que subissent les musulmans.

            Cette réalité islamique bipolaire, d’aucuns prétendent qu’elle n’existe pas (“L’Islam n’existe pas”, a-t-on même entendu dire) ; ils empêchent donc qu’elle soit prise en compte. Cette attitude, hélas, est celle qui prévaut encore dans certaines instances romaines spécialisées. Les chercheurs n’y sont pas les bienvenus, surtout s’ils commencent à s’intéresser aux origines de l’Islam et à l’histoire du texte coranique – l’un d’eux a été envoyé à l’autre bout du monde pour moins que ça.

            La compréhension du projet islamique dans ses origines et fondements constitue en effet un enjeu colossal. Sans elle, l’outil manque pour délégitimer et atténuer la violence découlant de ce projet. Or, son mécanisme est déjà en œuvre. Nous l’avons dit depuis deux ans : que vont faire les jihadistes « français » une fois qu’ils seront revenus en France ? Qui va les aider à sortir de leur « projet islamique » fou ? Ils sont 900 en Syrie et en Irak selon ce que le gouvernement actuel a admis (1 700 selon des sources fiables), et des cellules sont déjà en place en Europe (cf. le livre de Samuel Laurent, Al-Qaïda en France, Paris, 2014). Quant au potentiel d’embrasement, il est bien là aussi : les idées islamistes sont assez largement partagées, sur fond de vide culturel, moral et spirituel. Quelques exemples au hasard de l’actualité récente illustrent cette situation. Le 6 août à Lyon, un fumeur est traité de mécréant et poignardé ; le criminel est retrouvé peu après prostré, répétant « Allahu akbar » ; les médias le présentent comme un détraqué – certes, mais suite à quoi ? À Wuppertal en Allemagne, une police des mœurs islamique tente de se mettre en place. De l’autre côté de la Manche, les Anglais découvrent effarés que, au nom de la « tolérance » et du « dialogue », leur police et leur services sociaux ont couvert durant 16 années le viol et la mise en esclavage sexuel de 1400 gamines par le milieu des immigrés pakistanais. Or, qu’est-ce qui va retenir ces « jeunes », souvent les plus ignares, sur la voie du djihad, si la pastorale chrétienne est fermée à leur évangélisation – quoi que le Pape François puisse dire –? N’ont-ils pas besoin de croire et d’espérer ? Quasiment aucune communauté chrétienne ne prie jamais nommément pour leur conversion (indiquer en commentaire les rares cas contraires) ; est-ce les aimer que de refuser de demander à Dieu une telle grâce ? Sans un fondement de prières, mettra-t-on jamais en place des moyens pour l’obtenir ?

            À tout point de vue, les chrétiens forment le cœur du monde et de l’histoire depuis que les Apôtres ont essaimé la foi dans toutes les parties du monde de l’époque et que l’histoire a pris un cours nouveau. Soutenir les chrétiens persécutés pour leur foi, c’est donc faire avancer l’humanité – et, si l’on se dit chrétien, il s’agit une obligation fraternelle. C’est en même temps un service rendu à la société civile qui, sans la lumière de l’Evangile, est livrée mécaniquement aux pires « projets » messianistes.

            P. E-M Gallez et l’équipe d’EEChO, Exaltation de la croix 2014

[1] La liste est nécessairement plus large, sans jamais être exhaustive : aed-france.org, christianophobie.fr, kabyles.net, notredamedekabylie.net, islamla.com (site actuellement contaminé), islamisation.fr, asraralislam.com, meforum.org, islam-et-verite.com, mondialisation.ca, jeuneafrique.com, aina.org, silviacattori.net, copticsolidarity.org, aleteia.org/fr, medias-presse.info, blogs.mediapart.fr, libertepolitique.com, reseauinternational.net, asianews.it/it.html, postedeveille.ca, etc.

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2 thoughts on “Christianismes proche-orientaux et 7 années d’EEChO

  • 16 septembre 2014 at 12 h 53 min
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    Je ne me suis jamais intéressé qu’à des réalités ésotériques, et qui transcendent donc les formes diverses, et le plus souvent dégénérées, des religions du Livre. Poueqquoi donc irais-je prendre parti pour les uns ou pour les autres, qui sont tous également nécessauies ?

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    • 18 septembre 2014 at 14 h 22 min
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      Ce commentaire est intéressant en ce qu’il illustre parfaitement la pensée dominante du « supermarché des religions« . Pour elle, toutes « les religions » se valent, c’est-à-dire ne valent pas grand-chose. Seule la spiritualité gnostique (ou « ésotérique »), en phase avec l’athéisme, trouve grâce, en imaginant prendre ici et là des idées intéressantes et pas « dégénérées ». C’est également celle du New Age et de nombreuses Loges. Et souvent, celle d’ex-chrétiens déçus (mais certainement pas déçus par l’Evangile, qu’ils ne connaissent pas).
      Notons que l’expression « religions du Livre » est islamique ; elle ne vaut que pour le judaïsme moderne et l’Islam.

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