Arabie/Yémen: un ensemble de croix gravées (vers 470)
détail d’une inscription arabo-nabatéenne (photo Fr. Imbert)
De May Makarem, lorientlejour.com/article/908412/une-foret-de-croix-gravees-dans-le-desert-darabie-saoudite.html
Conférence de Frédéric Imbert au musée AUB
Conférence de Frédéric Imbert au musée AUB
À travers les épigraphies d’une communauté chrétienne en Arabie du Sud au Ve siècle, Frédéric Imbert a mené son auditoire non seulement aux sources du christianisme en Arabie, mais aussi aux sources mêmes de l’écriture arabe. Spécialiste d’épigraphie arabe et islamique, professeur à l’université d’Aix et membre de la mission franco-saoudienne de prospection dans l’émirat de Najrân, au sud de l’Arabie, Imbert a exposé lors d’une conférence au musée de l’Université américaine de Beyrouth, les découvertes qu’il a faites dans la zone de Jabal Kawkab (la montagne de l’Astre – au Yémen, NDLR) dont les parois rocheuses ont révélé des inscriptions assorties de croix, mais aussi, sur des kilomètres et des kilomètres, des milliers de gravures rupestres de toutes les époques, depuis la préhistoire jusqu’à l’époque islamique.
Les croix de Bīr Ḥimā
Les anciennes inscriptions de la communauté chrétienne ont été découvertes en janvier 2014 au sud de Jabal Kawkab dans le secteur de Hima, dit aussi Bîr Ḥimā ou Ᾱbār Ḥimā, « appellations renvoyant à une zone de puits connus depuis la plus ancienne Antiquité ». Le site, posé sur l’ancienne voie qui reliait le Yémen à Najran sans passer par le grand désert du Rub’ al-Khālî, était « une halte majeure pour l’approvisionnement en eau ». Non loin de ces puits, le conférencier a découvert des inscriptions gravées sur des rochers, « face écrite tournée vers le haut ». Son regard est attiré par « la qualité de la gravure et la typologie des caractères », ainsi que par « la taille ostentatoire » et les formes variées des croix gravées, associées systématiquement aux textes. « Il est vrai qu’elles ne sont pas les seules croix connues en Arabie du Sud et de l’Est, mais il s’agit sans doute des plus vieilles croix chrétiennes en contexte daté de 470 de notre ère », souligne Frédéric Imbert.
Les anciennes inscriptions de la communauté chrétienne ont été découvertes en janvier 2014 au sud de Jabal Kawkab dans le secteur de Hima, dit aussi Bîr Ḥimā ou Ᾱbār Ḥimā, « appellations renvoyant à une zone de puits connus depuis la plus ancienne Antiquité ». Le site, posé sur l’ancienne voie qui reliait le Yémen à Najran sans passer par le grand désert du Rub’ al-Khālî, était « une halte majeure pour l’approvisionnement en eau ». Non loin de ces puits, le conférencier a découvert des inscriptions gravées sur des rochers, « face écrite tournée vers le haut ». Son regard est attiré par « la qualité de la gravure et la typologie des caractères », ainsi que par « la taille ostentatoire » et les formes variées des croix gravées, associées systématiquement aux textes. « Il est vrai qu’elles ne sont pas les seules croix connues en Arabie du Sud et de l’Est, mais il s’agit sans doute des plus vieilles croix chrétiennes en contexte daté de 470 de notre ère », souligne Frédéric Imbert.
Pourtant, aucune trace de bâti n’a été relevée sur le site. Et l’ensemble des inscriptions, qui s’étend sur plus d’un kilomètre, ne fournit qu’une série de noms. Elles ne contiennent ni phrases construites ni textes relatant un événement. L’identification de la langue reste donc aléatoire. « Nous pensons au travers de quelques mots qu’il s’agit d’une forme tardive et peut-être locale d’araméen », indique-t-il. Quant à la lecture des noms, elle ne s’impose pas immédiatement.
À titre d’exemple, « Yawnan bar Malik(w) ne porte aucun point diacritique et il peut être aussi lu Ṯawbān, mais nous penchons plutôt pour Yawnān, comme le propose le savant onomasticien Ibn Mākūlā dans son ouvrage al-Ikmāl », explique le conférencier, précisant que dans le contexte chrétien, il s’agit de la forme ancienne de Yūnus ou Jonas. Donc on peut lire « Jonas fils de Malik ». Ensuite, se référant au calendrier de l’antéislam proposé par « Muḥammad b. al-Mustanīr, surnommé Quṭrub (m. 206/821), grammairien d’al-Baṣra », il souligne que « burak » correspond à l’actuel mois hégirien de Dhâ l-Hijja.
Quant à la date, elle correspondrait, selon le système de numération nabatéen, à l’an 470 de notre ère. Les inscriptions dateraient du règne du souverain himyarite Shuriḥbi’īl Yakkūf qui gouverna l’Arabie du Sud de 470 à 475. C’est sous son autorité qu’auraient débuté les persécutions de chrétiens. Les inscriptions révèlent d’ailleurs le nom de Marthad et celui de Rabī’, inscrits sur la liste des martyrs de Najrân, dans le Livre des Himyarites.
Le nabatéo-arabe : une écriture de transition
En ce qui concerne le registre de l’écriture, le spécialiste reste prudent. Selon lui, « l’inscription ressemble à de l’arabe, et nous pourrions être tentés de l’appeler « écriture arabe antéislamique » ; mais ce serait sans doute partiellement exact dans la mesure où nous ne sommes pas sûrs qu’il s’agisse purement de langue arabe, et ce serait ignorer la forme de certains caractères qui se rapprochent plus de l’écriture nabatéenne telle qu’on la connaît dans le nord de l’Arabie. C’est pourquoi il semble préférable de la qualifier d’inscription en écriture nabatéo-arabe », dit M. Imbert, ajoutant que « jusqu’à présent, on pensait que l’écriture arabe dérivait du syriaque (écriture utilisée dans les milieux chrétiens en Syrie et en Bas-Irak), mais certains demeurent convaincus qu’elle pouvait dériver du nabatéen tardif ». Le conférencier rappelle que ces dernières années, les travaux menés par la chercheuse du CNRS Orient & Méditerranée Laïla Nehmé, dans le nord de l’Arabie et autour de Madā’in Ṣālih, ont montré qu’il existait une écriture de transition, le nabatéo-arabe, dont certains caractères montrent déjà l’évolution vers les formes connues de l’écriture arabe que nous connaissons.
En ce qui concerne le registre de l’écriture, le spécialiste reste prudent. Selon lui, « l’inscription ressemble à de l’arabe, et nous pourrions être tentés de l’appeler « écriture arabe antéislamique » ; mais ce serait sans doute partiellement exact dans la mesure où nous ne sommes pas sûrs qu’il s’agisse purement de langue arabe, et ce serait ignorer la forme de certains caractères qui se rapprochent plus de l’écriture nabatéenne telle qu’on la connaît dans le nord de l’Arabie. C’est pourquoi il semble préférable de la qualifier d’inscription en écriture nabatéo-arabe », dit M. Imbert, ajoutant que « jusqu’à présent, on pensait que l’écriture arabe dérivait du syriaque (écriture utilisée dans les milieux chrétiens en Syrie et en Bas-Irak), mais certains demeurent convaincus qu’elle pouvait dériver du nabatéen tardif ». Le conférencier rappelle que ces dernières années, les travaux menés par la chercheuse du CNRS Orient & Méditerranée Laïla Nehmé, dans le nord de l’Arabie et autour de Madā’in Ṣālih, ont montré qu’il existait une écriture de transition, le nabatéo-arabe, dont certains caractères montrent déjà l’évolution vers les formes connues de l’écriture arabe que nous connaissons.
Le massacre des chrétiens
Pour comprendre le contexte dans lequel ces écrits ont été produits, Frédéric Imbert expose un petit historique de la zone, expliquant qu’à la fin du IIIe siècle après J.-C., la dynastie himyarite qui a régné durant 150 ans affirme sa neutralité entre les grands empires byzantin et perse, en faisant le choix du judaïsme.
D’autre part, le christianisme s’est répandu en Arabie à partir du IVe siècle, mais « c’est au VIe qu’il va prendre son essor dans la région du golfe Arabo-Persique, dans les régions côtières du Yémen et dans celle de Najrân. L’un des facteurs importants de sa diffusion va être l’activité missionnaire des chrétiens de l’empire perse sassanide et celle des missionnaires syriens monophysites qui sont hostiles au concile de Chalcédoine (451), et ce sont eux qui semblent exercer des responsabilités ecclésiastiques à Najrân. Deux évêques y sont d’ailleurs consacrés entre 485 et 519 ».
Pour comprendre le contexte dans lequel ces écrits ont été produits, Frédéric Imbert expose un petit historique de la zone, expliquant qu’à la fin du IIIe siècle après J.-C., la dynastie himyarite qui a régné durant 150 ans affirme sa neutralité entre les grands empires byzantin et perse, en faisant le choix du judaïsme.
D’autre part, le christianisme s’est répandu en Arabie à partir du IVe siècle, mais « c’est au VIe qu’il va prendre son essor dans la région du golfe Arabo-Persique, dans les régions côtières du Yémen et dans celle de Najrân. L’un des facteurs importants de sa diffusion va être l’activité missionnaire des chrétiens de l’empire perse sassanide et celle des missionnaires syriens monophysites qui sont hostiles au concile de Chalcédoine (451), et ce sont eux qui semblent exercer des responsabilités ecclésiastiques à Najrân. Deux évêques y sont d’ailleurs consacrés entre 485 et 519 ».
Mais un coup de force installe sur le trône himyarite un usurpateur qui prend le nom de Yûsuf/ Joseph appelé également Dhū Nuwās. C’est lui qui ordonnera le massacre des chrétiens de Najrân.
Ce massacre est confirmé par plusieurs sources dont le Martyre d’Aréthas, ouvrage publié dans les Monographies, et les textes épigraphiques écrits en sud-arabiques par un général du roi Yūsuf Dhū Nuwās. Ce dernier évoque clairement les événements. Le Coran se fait également l’écho dans la sourate al-Burūǧ (les Constellations).
À l’appel des chrétiens survivants, relayé par l’empereur byzantin, le roi d’Ethiopie Kâleb monte une expédition militaire pour venir au secours des persécutés. Son armée renverse et met à mort Yûsuf, lequel est remplacé par un nouveau roi chrétien. L’Arabie du Sud devient un protectorat éthiopien et le restera jusqu’à la conquête de l’Islam.
D’où est venue cette communauté ?
Il est possible que cette communauté chrétienne soit venue d’Irak, plus précisément d’al-Ḥira, « ville arabe de tradition chrétienne, pôle de christianisation des rives du golfe Arabo-Persique et qui compte déjà des épiscopats et des églises. Leur orientation théologique pourrait être celle des nestoriens d’al-Hîra, mais c’est difficile à prouver », dit le conférencier, soulignant que cette communauté avait adopté une langue et une écriture (l’araméen et le nabatéo-arabe) qui ne sont pas celles du royaume de Himyar, c’est-à-dire le sudarabique et le sabéen.
Le plus vieux livre des Arabes
Pour conclure, Frédéric Imbert signale que tout le contexte épigraphique de Hima et de la zone du Jabal Kawkab est troublant tant cette région affiche des milliers de représentations humaines et animales, de versets, de croix, de vers de poésie, de textes en arabe, en sudarabique, en thamoudéen ou en nabatéen. « Nous travaillons sur ce que j’appelle « le plus vieux livre des Arabes », un livre écrit sur les pierres du désert par des hommes qui vécurent à l’époque où une certaine forme de monothéisme se met en place dans la douleur et l’opposition, les massacres et les guerres. Aujourd’hui, c’est une page de l’histoire des Arabes et du christianisme que nous essayons de retrouver et qu’il va falloir aller chercher au sud de l’Arabie. »
Pour conclure, Frédéric Imbert signale que tout le contexte épigraphique de Hima et de la zone du Jabal Kawkab est troublant tant cette région affiche des milliers de représentations humaines et animales, de versets, de croix, de vers de poésie, de textes en arabe, en sudarabique, en thamoudéen ou en nabatéen. « Nous travaillons sur ce que j’appelle « le plus vieux livre des Arabes », un livre écrit sur les pierres du désert par des hommes qui vécurent à l’époque où une certaine forme de monothéisme se met en place dans la douleur et l’opposition, les massacres et les guerres. Aujourd’hui, c’est une page de l’histoire des Arabes et du christianisme que nous essayons de retrouver et qu’il va falloir aller chercher au sud de l’Arabie. »